A ▸ | |
B ▸ | |
C ▾ | |
Gautier: Chat perché | |
Reich: Clapping music | |
Saladrigues: Contour | |
Krouchi aka Drfloy: Couvre-feu… | |
D ▸ | |
E ▸ | |
F ▸ | |
G ▸ | |
H ▸ | |
I ▸ | |
J ▸ | |
K ▸ | |
M ▸ | |
N ▸ | |
O ▸ | |
P ▸ | |
Q ▸ | |
R ▸ | |
S ▸ | |
T ▸ | |
U ▸ | |
V ▸ | |
W ▸ | |
Z ▸ |
L'étrange beauté des Contes du Chat Perché
Le Fantastique et le Jura
Qu'est-ce qui fait du Jura une montagne magique ? Tous les monts sont anciens, et nos yeux aveuglés par le petit laps de temps dont nous disposons pour vivre ne peuvent les voir marcher, s'élever, se former.
On sait que le Jura est une formation très ancienne : on y trouve encore des fossiles de coquilles. On sait qu'il s'est plissé doucement après l'érection des Alpes, dans un mouvement de vague.
On sait encore que sous le sol dort tout un réseau de lacs, de grottes, de rivières qui happent parfois leur proie en formant des entonnoirs où disparaissent une vache, une chèvre, un mouton...
La brume y est dense, et la présence de tourbe et de bruyère rappelle l'Irlande, autre royaume des légendes fantastiques. On y rencontre d'ailleurs d'anciennes divinités celtiques comme la Vouivre, qui promène son diadème de rubis, suivie de ses vipères, ou la Bête Faramine à triple tête, qui au crépuscule effrayent les marcheurs qui s'attardent.
Et c'est tout l'art de Marcel Aymé d'avoir situé sur cette terre inquiétante un récit aussi limpide que celui des Contes du Chat Perché.
Les animaux y parlent, avec naturel, avec évidence : ils tiennent même des conseils.
Les parents y travaillent, courbés sur cette terre ingrate qu'ils aiment plus que tout. Attelés comme des boeufs, indissociables, ils tiennent un langage d'ogre.
Les petites héroïnes en tablier, Delphine et Marinette, croissent sur ce coin de terre comme de graciles pavots sur un tas de fumier.
Ecole communale, école buissonnière
On chercherait en vain dans ce monde rural l'ombre d'une croix, la présence d'une église : Marcel Aymé fait l'économie de l'ère chrétienne et passe des dieux anciens à une foi tendrement ironisée dans le progrès et l'instruction. Pas de pasteurs, mais des vétérinaires, pas de soeur ou de curé, mais une maîtresse et un inspecteur : il y a dans ces contes toute une mythologie de l'école laïque avec son cortège de prix, de discours et de chorales enfantines, à laquelle s'oppose l'irresistible attrait de l'école buissonnière.
Cela donne un monde aussi puissant qu'aérien, drôle, contradictoire, pour tout dire magique, que j'ai eu envie d'évoquer dans ce petit opéra rural, qui fera appel à diverses disciplines artistiques.
Art du Cirque et Music Hall
Pour figurer certains animaux aux rôles plus dessinés (le cochon, le paon, la panthère...) ainsi que pour incarner certains personnages de passage à la ferme (la cousine Flora, le Sous-Préfet...) j'aurai recours à trois artistes dont les disciplines confinent aux arts du cirque, à la danse et au chant.
Delphine et Marinette : les petites acrobates
« Adieu mes soeurs, dit elle, et qui ne l'êtes déjà plus, parce que je vous laisse à tous ces travaux. Car j'ai mon corps à moi, et il est fait pour être beau. Il pèse et il est fait pour ne plus peser ; il est lourd, il est fait pour être léger ; il a ses lois, mais j'ai les miennes et je les lui impose... Adieu cette vie qui n'est pas la vie, étant de marcher tristement : elle lève les bras comme si elle allait s'envoler. "
Charles Ferdinand Ramuz : Le Cirque
Comme leurs parents, Delphine et Marinette forment un couple inséparable. Gracieuses, graciles, elles sont l'apesanteur même. D'emblée, j'ai pensé à un couple de petites acrobates (contorsionistes peut-être) dont les gestes se complètent et dessinent des figures.
Je fais allusion à cette impossible acrobatie mentale qui leur fait accepter que les bêtes qu'elles aiment sont destinées à la boucherie - elles ont d'ailleurs un goût très vif pour le lard et le poulet rôti - .
Utilisant la parole en cours de mouvement, le chantonnement pour ponctuer leurs figures, elles donneront une belle et troublante image de ce couple d'enfants. La grâce de leurs gestes et le charme dérangeant de leur double image souligneront l'étrange beauté qui est pour moi, la note dominante des Contes du Chat Perché.
La musique Voix multiples et fanfare
Le duo des parents
« Hum... Nous sentons là-dessous... Hum ! Quelque chose qui n'est pas clair... Parce que si vous aviez laissé entrer quelqu'un dans la maison, Ah ! si vous aviez laissé entrer quelqu'un... Petites malheureuses ! Il vaudrait mieux pour vous... Il vaudrait mieux je ne sais quoi ! "
Marcel Aymé : l'Eléphant (Contes du Chat Perché)
Pour figurer les parents, binôme indissociable - on dit toujours les Parents - au comportement obsessionnel, au langage répétitif navigant entre menace et soupçon, j'ai demandé à Jean-Marc Singier d'écrire une musique vocale pour mezzo-soprano et baryton. Il pourra, dans ce duo, exprimer son sens drôlatique des jeux de voix et de mots.
Les animaux musiciens
« Sais-tu quoi ? dit l'âne au chien, je vais de ce pas à Brême pour faire partie de la fanfare. Viens avec moi et deviens musicien. Je jouerai de la lyre, tu frapperas des cymbales. "
Jacob et Wilhelm Grimm : Les Musiciens de la Ville de Brême
Les animaux partagent avec les instrumentistes ce triste privilège : d'ordinaire, ils n'ont pas le droit à la parole. Mais comme Marcel Aymé dans Chat Perché leur a accordé le langage, les rendant, du coup, étrangement proches des humains, j'ai pensé les faire représenter par une petite fanfare.
Pour ce faire, j'ai commandé au compositeur Jean-Marc Singier, orfèvre des cuivres et des vents, une musique pour ensemble constitué d'un trombonniste, d'un trompettiste, d'un clarinettiste, d'un saxophoniste et d'un percussioniste.
Ces musiciens défileront incarnant les animaux de la ferme, et comme eux, ils interviendront verbalement. Ils formeront aussi un petit choeur d'hommes (formation très répandue dans les communes du Jura).
La musique
Vents et voix : souffle du conte
Le projet initié par Caroline Gautier d'après les Contes du Chat Perché de Marcel Aymé, m'a tout de suite attiré par son caractère singulier : le monde de l'enfance, le milieu rural vu avec un certain réalisme mais empreint d'un puissant onirisme ; densité de la fable, puissance évocatrice du conte - comme chez Jean de la Fontaine, les animaux parlent - .
Pour amplifier et faire écho musicalement aux situations développées par le conteur, j'ai opté pour une formation instrumentale légère accompagnant les différents personnages (ils sont au nombre de sept : chanteurs, diseurs, comédiens, acrobates) ; cette formation se compose de 5 musiciens et s'apparente à une petite fanfare :
Un clarinettiste (jouant différentes clarinettes : petite cl.Mib, cl.sib, clarinette basse). Un saxophoniste (jouant les 4 saxophones : soprano, alto, ténor, baryton). Un trompettiste (utilisant aussi le bugle et différents types de sourdines). Un tromboniste (ayant recours à différentes sourdines). Un percussionniste (ayant notamment à sa disposition des accessoires de « bruiteur »).
La variété des registres expressifs qu'offre cette palette instrumentale me semble la plus propice à développer une idée qui m'est chère : l'alliage des voix avec les sonorités « festives » des fanfares au service d'un récit inscrit dans le monde rural, la poésie de l'enfance et la puissance du rêve.