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Jacques Demierre
Flash-Songs  2011 #1h
d'après F. Nietzsche
En concert: je 24.3
Demierre, Jacques
© Laurent Barlier

Avant d'être philosophe, Friedrich Nietzsche a été improvisateur et compositeur. Des témoignages le décrivent, adolescent, improvisant au piano des heures durant, ou interprétant encore parfaitement, à la fin de sa vie, la musique de son époque, alors que la démence avait déjà ôté toute raison à son propre discours.

Un choix de Lieder, originellement pour voix et piano, est ici librement traduits dans une version pour voix, celle de Dorothea Schürch, et ensemble, les musiciens de 6ix et du Fanfareduloup Orchestra.

A part Gebet an das Leben, écrit en 1882 sur un texte de Lou von Adreas-Salomé, tous ces Lieder sont des pièces de jeunesse, composées entre 1862 et 1865, alors que Nietzsche avait entre 18 et 21 ans.

Plusieurs axes d'influence ont étayé le travail de traduction musicale.

Il y a d'abord cette énergie de la jeunesse de Nietzsche que l'on découvre à l'oeuvre dans ses Lieder. Chaque instant sonore est important et quasi autonome, le son du texte chanté, le son du piano l'accompagnant ou le commentant. Le philosophe privilégie la perception instantanée au détriment de la forme plus large qui serait de toutes façons impuissante à nous faire entrer en contact direct avec l'expérience de l'écoulement du temps. Il l'écrit lui-même dans La Volonté de puissance : nous ne sommes pas assez subtils pour apercevoir l'écoulement probablement absolu du devenir ; le permanent n'existe que grâce à nos organes grossiers qui résument et ramènent les choses à des plans communs, alors que rien n'existe sous cette forme. L'arbre est à chaque instant une chose neuve ; nous affirmons la forme parce que nous ne saisissons pas la subtilité d'un mouvement absolu.

Ecrire une composition comme Flash-Songs, pour des musiciens qui tout à la fois interprètent et improvisent, c'est rejoindre et amplifier le mouvement de complémentarité entre le performatif et le composé, singulièrement audible dans les Lieder du jeune Nietzsche. En ce sens, la partition de Flash-Songs s'organise à travers un dispositif temporel qui n'est pas complètement déterminé ni totalement organisé à l'avance, mais qui propose aux interprètes, à l'intérieur de champs sonores donnés, de jouer de leurs capacités improvisatrices à convoquer l'instant sonore, tel Nietzsche improvisateur-compositeur, dans ses années de jeunesse, face à ses futurs Lieder.

Quant au rapport aux poèmes choisis, il s'agit ici, en transperçant la trame de la composition harmonico-rythmique nietzschéenne, d'activer une lecture contemporaine, qui mette l'accent sur le rayonnement acoustique des phonèmes à travers l'ensemble instrumental. Comme la tentative d'exprimer d'une manière diffuse et équivoque l'organisation phonétique du langage parlé.

Autre axe d'influence, celui des mélodies elles-mêmes : depuis le moment de leur écriture, elles se sont progressement étirées dans le temps pour parvenir jusqu'à nous. Il n' y a pas eu transport du passé au présent, il y a eu étirement, propagation sans réverbération, le son a continué à dérouler son étendue jusqu'à aujourd'hui. Flash-Songs est là pour recueillir ces étendues mélodiques, au sein desquelles les phrases se sont retrouvées étirées, les mots distendus et les phonèmes dépliés tout autour des sonorités nietzschéennes.

Enfin, il y a le couple historique voix-piano, dont la forme est ici à la fois présentée et absentée. Point d'articulation central de Flash-Songs, il est à la fois le lien entre le geste romantique et l'ancrage contemporain, et le lieu de questionnement de ce lien, traversé par des étirements textuels, par des citations pianistiques diffusées, tirées des Lieder enregistrés par Dietrich Fischer-Dieskau et Aribert Reimann, par l'utilisation de filtres vocaux, ou encore par la reconsidération constante de l'espace de jeu piano-voix.

Jacques Demierre