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Éditorial
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Photo Régis Golay © Archipel, 2013

Sourde au monde, inécoutée de lui, est-ce la musique contemporaine ?
Archipel 2013 explore les noces inattendues de la modernité et de la variété. Quand art et divertissement, création et commerce, s’unissent contre tous les tabous dans une même recherche de la saturation électrique, pour notre plus grand plaisir décalé.

Dans les années 1950, mus par l'utopie d'une résistance au déferlement des musiques commerciales, les compositeurs optent pour la tour d'ivoire contre la tour de Babel. Plus de référence à l'histoire, plus d'emprunt aux musiques populaires, plus de compromission avec la culture de masse. L'art doit se distinguer du divertissement qui est une marchandise.

Ce faisant, ces musiciens confinent la création à une ligne très mince, excluant les compositeurs sensibles aux folklores comme Bartók, aux formes et aux langues du passé comme Stravinsky. Ils replient la musique sur un problème de langage et de forme, le sérialisme. La radicalité de la démarche explique son succès immédiat auprès des créateurs. Son rapport autistique au monde réel, conduit à son rapide déclin.

INDUSTRIE CULTURELLE

Dans le même temps, l'électrification de la musique, qui a permis la diffusion discographique de masse et entraîné ce repli identitaire, devient le vecteur d'un brassage imprévu. L'électroacoustique naissante dynamite l'idée traditionnelle d'une musique de notes combinées selon des règles de grammaire (comme l’est encore le sérialisme), pour un art ouvert du son et du bruit où seule la physique impose sa syntaxe. L’électricité, l’exploration des sonorités amplifiées, saturées, transformées, les premiers synthétiseurs, propulsent aussi la chanson, le rock et le jazz dans l’expérimentation. La musique savante n’a plus l’apanage de la recherche. L’exploration sonore est souvent plus imaginative du côté du commerce, l’utilisation des instruments électriques, notamment, n’y est plus confinée au studio.

La « coupure esthétique » qui sépare, selon Adorno, la création de l’industrie culturelle, l’art du divertissement, n’a plus la netteté d’après-guerre. Il y a l’authentique créativité qui s’exprime, via la transformation électrique, dans le champ populaire. Il y a, réciproquement, à partir des années 1970, le retour du refoulé dans la musique savante : néo-romantisme, néo-tonalité, post-modernité, produisant des œuvres qui semblent conçues surtout pour la consommation de masse, et non l’expression d’une individualité.

SALADES

Les musiciens d’aujourd’hui ont biberonné Hendrix, Zappa, Miles Davis, Dylan ou les Doors autant que Stockhausen ou Nono. Ils ont été guitariste rock avant d’étudier la fugue. Ils n’ont aucune raison objective de pérenniser ce clivage, credo de leurs parents. La frontière est poreuse, ils la traversent librement comme leurs ancêtres, car les genres les plus savants de la musique ont souvent des racines populaires : le madrigal est né de la frottole, les Suites pour violoncelle de Bach des rythmes de danse.

Archipel, qui s’est donné pour objectif d’explorer les problématiques de l’art sonore contemporain, est placé en 2013 sous le double signe de l’électricité et de la variété. Le festival fait un tour d’horizon de cette mutation profonde, la fin d’un tabou touchant au mélange des genres. Portrait d’une époque qui retrouve l’esprit « Bœuf sur le toit », quand, dans le cabaret parisien, Wiener et Doucet jouaient ce qu’ils appelaient des « Salades » : Satie et Schoenberg entrecoupé de ce jazz découvert dans les boîtes de Harlem.

Marc Texier
directeur d'Archipel