Ali di Cantor est une œuvre très importante pour l'évolution de mes propres compositions. Pour des raisons circonstancielles d'abord, liées à la commande par l'Ensemble Intercontemporain et au soin apporté à la création par Pierre Boulez, qui est le dédicataire de l'œuvre. Mais c'est ensuite en fonction des particularités artistiques, la nature même du langage musical qui condense en trente minutes l'essence de la recherche effectuée au cours de la décennie précédente tout en annonçant ce qui devait caractériser ma démarche dans les années suivantes. Un simple regard sur la partition en donne déjà la preuve, à commencer par la spatialité.
Il y a quatre groupes instrumentaux disposés de façon précise que la partition indique. Le Groupe A et le Groupe B sont disposés en miroir, placés en diagonale sur les côtés de la scène, comprenant chacun une flûte, un hautbois et une clarinette dans la première rangée, un glockenspiel, une trompette, un cor et un trombone dans la deuxième rangée. Le groupe C est au centre de la scène, devant le podium du chef, et se compose de deux violons aux extrémités du demi-cercle, puis, dans une disposition en miroir, de deux altos et deux violoncelles, d'une contrebasse au centre et d'un synthétiseur qui mêle dans une sonorité unique piano, vibraphone et harpe. Le groupe D est situé au fond de la scène et se compose de deux pianos, placés deux aux extrémités, une clarinette basse, un basson, un tuba et un marimba. Évidente est donc la construction d'un environnement dans lequel, entre les groupes A et B qui renvoient aux « ailes » du titre, se situe le chœur en position stéréophonique, tandis que les groupes C et D interviennent comme un écho de fragments de données.
En ce qui concerne la forme, Ali di Cantor est divisé en six sections séparées mais non significativement différentes les unes des autres. Les titres de chaque partie, avec l'adoption de la langue latine et la référence à des procédures strictes du contrepoint, font clairement référence à un champ archaïque: I. Resonantia - II. Speculum - III. Hoquetus - IV. Multiplicis - V. Canon extentum - VI. Cauda. Il n'y a pas là une référence à la forme de la symphonie classique en quatre mouvements, qui serait dans ce cas précédée d'une introduction et se terminerait par une conclusion, avec le scherzo (Hoquetus) en deuxième position. La complexité, la portée et l'engagement des idées mises en jeu dans l'oeuvre se révèlent difficiles à décrire, mais nécessaires et aisés à saisir.
Ali di Cantor est un titre pompier à première vue, mais reflète les questions fondamentales de la composition. Le « drame de l'espace » (définition qui me tient à cœur et que j'ai souvent utilisée pour décrire mes pièces poétiques dans lesquelles la spatialisation joue un rôle central), s'effectue selon les principes élémentaires de la « théorie des ensembles » dont le mathématicien Georg Cantor a été l'un des plus grands théoriciens (principes d'appartenance, de partage, de proximité, d'intersection, etc.). Mais Cantor (en allemand avec « K ») renvoie également à Jean-Sébastien Bach ! Et ici nous arrivons à la deuxième motivation de la composition. Elle utilise en effet largement certaines des techniques contrapuntiques les plus célèbres (notamment le canon, dans ses nombreuses variantes, et le hocquetus) pour développer un matériau harmonique de nature et d'origine éminemment spectrale.
La composition, réalisée en 2003, est dédiée à Pierre Boulez, à qui ma génération doit d'avoir reçu un enseignement éclairant. C'est lui qui la créa à Paris avec l'Ensemble Intercontemporain en avril 2004.