Archipel 2015

La musique du muet
Archipel 2015
Photo Régis Golay © Archipel 2015

Au temps du muet, le cinéma compensait l'absence de sons, paroles et musiques par un art du montage et de la construction formelle directement issu de la temporalité musicale. Bien des années plus tard, de nombreux compositeurs éprouvent le besoin de revitaliser leur art en illustrant musicalement ce lointain ancêtre, faussement silencieux mais rythmé et polyphonique, véritable contrepoint d'images : le cinéma muet.

Dans son exploration de l'altérité et de la correspondance entre les arts, Archipel 2015 propose quelques-uns des plus grands chefs-d'œuvre du cinéma, du film d'animation et de la vidéo, inspirés des formes musicales et inspirant à leur tour des incarnations sonores. Des œuvres au montage virtuose.

La Grève (1924), le premier film de Sergeï Eisenstein (Russie 1898-1948), pose les bases du langage du cinéaste russe en rejetant d'emblée le cinéma d'acteurs pour un art de l'image montée et de la construction temporelle. D'une fascinante dimension rythmique, gestuelle et articulatoire, La Grève est un tableau en mouvement où noir et blanc deviennent couleurs. Mettre ce film en musique ne consiste pas à combler un silence mais à

tisser des trajectoires, ainsi que le fait Pierre Jodlowski (France 1971), renouvelant l'espace de la projection dans une dimension sonore électroacoustique qui révèle le rythme et la forme des séquences, la dynamique des images (samedi 21 mars 19h, Cinémas du Grütli).

Pour François Truffaut, l'Aurore de Friedrich Wilhelm Murnau (Allemagne/USA 1888-1931) est «le plus beau film du monde». Hymne à la nuit et à l'amour, choc de l'authenticité et de la sophistication, une rare copie possédée par la Cinémathèque suisse est projetée accompagnée d'une création de Helmut Oehring (Allemagne 1961). Qui d'autre mieux que Oehring, ancien ouvrier du bâtiment formé à la musique en autodidacte, pour restituer le choc des classes sociales dépeint avec tant de justesse, de force mais aussi de poésie par Murnau? Qui mieux que Oehring, fils d'un couple de sourds-muets, pour faire entendre l'imprononçable gémissement de l'amour, de la passion qui pousse au crime, passant ici par la voix du performer David Moss discrètement accompagné par le quatuor Sine Nomine et un ensemble dirigé par Jürg Henneberger (samedi 21 mars 21h, MCP) ?

Marc Texier
directeur d'Archipel