Xavier Dayer  (musique) / Alain Perroux  (livret)

Les Contes de la lune vague après la pluie  (2015)  #1h20 — première suisse
opéra de chambre sur un livret d'Alain Perroux, adaptation du scénario du film «Ugetsu Monogatari» de Kenji Mizoguchi
Contes de la Lune vague après la pluie, Kenji Mizoguchi, 1953
En concert
Contes de la lune vague II - di 29.3 17h

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Le projet de cet opéra commence il y a une quinzaine d’années lorsque j’ai vu avec fascination le film de Kenji Mizoguchi Les Contes de lune vague après la pluie (Ugetsu monogatari). J’y ai trouvé une force de récit propice à faire naître une œuvre lyrique. Cette idée a pu devenir réalité lorsque la fondation Royaumont m’a proposé en 2009 de composer un nouvel opéra de chambre pour son unité scénique.

Pour ce faire la collaboration avec un librettiste est essentielle et j’ai tout de suite pensé à Alain Perroux qui a accepté ce défi en réalisant un livret captivant conservant la trame principale du scénario du film : l’histoire d’un potier de village du XVIe siècle japonais (Genjuro) qui, malgré les guerres intestines, part vendre sa production dans la capitale. En ville, il tombe sous le charme d’une princesse «fantôme» et oublie tout de sa vie précédente. Lorsqu’il se libérera de cette emprise, il reviendra dans son village pour réaliser qu’il a perdu sa femme, victime des ravages de la guerre. En contrepoint à ce récit principal se tisse celui d’une autre ambition, celle de Tobe qui est prêt à tout afin de devenir samouraï.

Dans ma mise en musique, j’ai voulu associer le chant au désir. Un désir qui peut être source de vitalité mais aussi d’aliénation. Le chant est structuré par l’idée musicale d’un mouvement circulaire, les lignes vocales s’enroulent quasiment sur elles-mêmes à l’image de l’impossibilité pour les personnages de rompre leurs obsessions. À cela s’opposent les passages strictement parlés, instants brefs durant lesquels les individus sont libérés de leur chant. À l’intérieur des parties chantées, l’éloignement de l’intelligibilité des mots correspond au personnage surnaturel et fantomatique de la princesse Wakasa. Son chant est tout en vocalises et mélismes alors que celui de Genjuro colle au

texte par un chant syllabique, celui de Tobe est, lui, caractérisé par des mouvements ascendants récurrents. Une Haute-contre incarne de nombreux personnages dans l’œuvre qui ont tous une fonction de passage, de guide. À cette voix est attribuée une tessiture réduite, ornementée souvent proche de la princesse Wakasa.

L’orchestre est ici comme un personnage qui ne chante et ne parle pas. Il est Genichi, le fils de Genjuro subissant les conséquences de cette histoire sans pouvoir intervenir. Les sonorités de l’ensemble instrumental sont le reflet de son espace sensible sculpté par le drame, le déclenchement des tensions, des tuttis, des accents provenant essentiellement des voix.

Le livet d’Alain Perroux propose une alternance entre des scènes aux durées très contrastées induisant une non-linéarité du temps. Musicalement cette non-linéarité est transcrite par le modèle formel d’une spirale en mouvement autour d’un axe. Cet axe est le cœur de la pièce, le moment où Genjuro tombe sous l’emprise du sort de la princesse Wakasa. Ce qui suit est le rétrograde libre de ce qui précède cette scène.

Concernant les couleurs et les gestes instrumentaux, l’accentuation typique du Koto (instrument de musique à cordes pincées utilisé en musique japonaise traditionnelle) est ma référence. Le cymbalum (corde frappée) présent dans l’orchestre amplifie ce modèle et se propage également sur les autres instruments. Ce sforzando peut être contracté ou au contraire dilaté à l’extrême, la dernière scène (l’épilogue) est, par exemple, une longue et unique résonance d’un sforzando étouffé.

On le sait, la poésie japonaise est capable d’exprimer une infinité de nuances avec peu de mots. Cet idéal de concentration conduisant à une richesse de sens m’a orienté vers des choix déterminants tel que celui d’un ensemble instrumental réduit à neuf musiciens, il m’a aussi incité à privilégier une expression liée à l’expérience d’un certain dépouillement.

Xavier Dayer, janvier 2015