Pierre Jodlowski

La Grève  (2000)  #1h10 — première suisse

D.R.
En concert
La musique du muet I - sa 21.3 19h

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Ce premier film d'Eisenstein pose d'une certain façon les bases du langage du cinéaste russe en rejetant d'emblée la notion d'un cinéma d'acteurs, pour se préoccuper plus fondamentalement d'un art de l'image, au travers du montage et de la construction formelle. La portée politique du film, si elle reste indéniable (on parlera du cinéma soviétique de cette époque en termes de propagande) et surtout intemporelle, est ici servie par un travail de montage fulgurant qui préfigure ce qu'Eisenstein formulera à la fin des années 30 dans sa «Théorie des attractions».

Dès le premier visionnement de La Grève, au moment où je devais choisir le film sur lequel j'allais travailler, j'ai été fasciné de prime abord par la dimension rythmique, gestuelle et articulatoire de ce film. La Grève reste pour moi un tableau ; tableau en mouvements, où le noir et le blanc deviennent couleurs, où la force d'une séquence est indissociable du tout, dans sa pertinence structurelle. La Grève, film muet, se détache ainsi de la parole, véhicule les symboles d'un monde bouleversé, transmet, jusqu'à aujourd'hui,

et c'est là sa force, les questionnements de l'homme, le sens même de l'existence. Pourtant, c'est par la dynamique de l'image, les contrastes prononcés du rythme des séquences, la mise en scène excessive (devenant allégorie) qu'une dimension philosophique peut naître et non pas par une simple mise en image d'acteurs ou d'histoires charismatiques (comme le cinéma peut le faire bien souvent aujourd'hui).

On voit bien alors comment l'idée musicale peut naître dans l'esprit du compositeur: la musique est art du temps et de l'espace, du rythme et de la forme. Mettre ce film en musique ne consiste pas simplement à combler un silence (d'ailleurs Eisenstein le fait très bien tout seul!) mais plutôt à tisser des trajectoires, à renouveler l'espace de la projection dans une dimension sonore.

Là est le projet de cette création: apporter un nouvel «éclairage» de l'œuvre cinématographique à travers une musique dont l'intensité veut côtoyer celle du film, induire un rapport de forces, concentriques ou divergentes, retrouver l'énergie de l'image pour mieux la déconstruire et en donner une «interprétation» sensible.

Pierre Jodlowski