Patrick Ascione

Polyphonie-polychrome  (1984-1989)
extraits
Lune noire ■ Sur champ d'azur ■ Valeurs d'ombre

La musique électroacoustique m’a très vite attiré parce qu’elle me permettait d’accéder à un univers de sensations et d’émotions que je n’avais alors entrevu dans nulle autre forme d’expression. Rencontre d’une terre inconnue, d’un langage nouveau en filigrane des conventions, suffisamment abstrait, sensible et puissant pour que ne demeure de mes intentions créatrices que l’essentiel, sans artifice, et pour qu’il me soit permis peut-être un jour de participer aussi à son édification. Le présent enregistrement représente une partie de mon travail à laquelle il faut ajouter d’autres pièces pour le concert et quelques travaux d’application en collaboration avec des plasticiens.

Si la toile du peintre rend possible le travail sur les couleurs et leurs nuances c’est qu’elle permet tout simplement de retenir dans les moindres détails les volontés successives de l’artiste, les hasards heureux, et par approches progressives d’établir des concordances, des contrastes ou des oppositions de sens, de valeurs et de formes tout en en conservant la trace, et sans qu’il soit besoin pour cela d’une codification intermédiaire de l’intention à l’objet.

Dans le champ du sonore (pour ne pas dire de la musique) il a manqué longtemps cet équivalent pour pouvoir prétendre à autant de liberté et de plasticité: cette «toile des sons» qu’est aujourd’hui véritablement la bande magnétique ou ses nouveaux dérivés…

J’ai toujours été frappé par l’existence de cette correspondance intéressante entre l’art acousmatique et la peinture, remarque qui s’est avérée déterminante pour mon propre travail dès mes débuts (Métamorphose d’un jaune citron, 1978).

Non pas du point de vue des relations synesthésiques

(perceptions subjectives), mais parce que composer avec des sons, ce qui suppose de les façonner un à un, les mélanger, les effacer, les remplacer, puis les poser définitivement sur la bande me semblait très proche dans la manière de procéder de celle d’organiser une surface avec des couleurs… Qu’il existait au fond un point commun particulier à ces deux disciplines, une base analogue autant indispensable à l’une qu’à l’autre, et sans laquelle ni l’une ni l’autre n’aurait pu véritablement voir le jour et se développer.

Ce principe commun de support étant à bien des égards à l’origine même des particularités essentielles et irréductibles de ces deux miroirs distincts de la sensibilité et de la pensée humaine que sont la peinture et l’art acousmatique.

Et s’il existe bien une spécificité et par conséquent s’il nous est offert aujourd’hui cette extraordinaire liberté d’expressivité et cet univers nouveau de sens à découvrir, c’est à cette mémoire-immédiate-là précisément que nous le devons en priorité; à ce support géniteur, à la fois commencement et aboutissement, puisqu’en évacuant tout système médiateur, tout compromis, il ramène l’œuvre au rang originel et primitif d’objet.

Simplification ultime qui du même coup démarque radicalement l’œuvre concrète de celle de musique traditionnelle. Puissance singulière d’un art dont nous sommes probablement encore loin d’avoir atteint les limites…

C’est en tout cas dans cet esprit et fort de ces convictions particulières que j’ai pu, grâce à des commandes de l’Ina-GRM mais aussi à la confiance renouvelée de François Bayle, composer le présent triptyque dont le titre me semblait bien concrétiser ma démarche.

Patrick Ascione