En 2009, j’ai commencé à faire mes premières expériences en utilisant des aspirateurs comme une partie d’un instrument de musique. J’ai continué cette expérience en 2011 et co-construit cette Airmachine qui a fait partie de Körper und Seele, un projet pour chœur et orchestre abouti en 2014. En 2015, grâce à l’enthousiasme de Damien Pousset, du talent de Christophe Lebreton, de la patience de ma femme et d’un grand atelier à ma disposition à la villa Médicis, une nouvelle Airmachine, Airmachine 2, est née. J’ai alors écrit une pièce solo à partir de mes recherches et improvisations sur l’Airmachine. En fait, le défi de cette première pièce était de trouver l’équilibre entre les possibilités infinies de cet instrument et la manière de figer, noter, pouvoir enchaîner et interpréter les cellules musicales les plus pertinentes, trouvées au hasard de mes improvisations. Cette pièce solo est donc une sorte de sauvegarde de mes idées et trouvailles.
Comme il s’agissait d’une expérience inhabituelle, en même temps visuelle et sonore, dont j’étais, dans un premier temps, le seul interprète, j’ai profité de la présence de collègues artistes à la villa Médicis ainsi que de nombreux visiteurs pour montrer ma recherche sur l’Airmachine et connaître leur perception de cet objet. Certains amis venaient régulièrement pour voir l’évolution et comme il s’agissait surtout d’artistes non-musiciens, leurs retours ont été très enrichissants. C’est d’ailleurs mon ami Pierre Weiss qui a trouvé le titre de cette pièce solo.
L’Airmachine est capable de très grands contrastes en terme de dynamiques et de couleurs. On peut y connecter des instruments très sonores (comme des aérophones à membrane fabriqués avec des ballons de latex), dont la puissance rivalise avec celle d’un ensemble de cuivres. On peut, à l’inverse, brancher des instruments d’une grande douceur. L’Airmachine est capable d’une articulation très précise, courte et extrêmement véloce, tout en restant humaine - chaque instrument branché ayant une sonorité légèrement différente. Pour moi, c’est un magnifique outil pour tester certains phénomènes acoustiques qu’on ne pourrait pas entendre autrement : un rythme très rapide où chaque accent a un timbre différent, un glissando très large et une tension émotionelle avec la couleur
La pièce pour ensemble utilise le même matériau musical et visuel, mais plus sélectionné, plus développé et dans un parcours un peu différent.
Il fallait en effet trouver comment combiner l’Airmachine avec un ensemble instrumental puisqu’elle-même a la puissance acoustique et la variété de sons d'un petit ensemble aux instruments originaux.
J’ai fait quelques essais avec la section de cuivres de l’Ensemble Orchestral Contemporain et je me suis rendu compte que leur son était trop poli, trop clean, trop juste par rapport à celui de l’Airmachine. J’ai donc cherché avec eux des sonorités plus « sauvages ».
La hauteur aurait pu être un pont entre l’ensemble et l’Airmachine, car l’oreille humaine associe très vite des hauteurs qui appartiennent au même registre et crée "automatiquement" des mélodies. Mais, hélas, les hauteurs de l’Airmachine restent une surprise. Elle utilise des sons avec des hauteurs définies mais que nous ne pouvons pas accorder précisément. Alors que le rythme est parfaitement contrôlé, la hauteur et la dynamique sont laissées au hasard de la moindre variation d’air ou tension de la membrane, ce qui va complètement modifier le son.
J’ai alors cherché à rester aussi dans la partie instrumentale en dehors des hauteurs « trop justes », en utilisant beaucoup d’effets sonores, des micro-intervalles ou des clusters.
J’ai cherché longtemps la forme idéale, car j’ai eu beaucoup (trop) de matière et d’idées qui ne peuvent pas rentrer dans une seule pièce d’une durée raisonnable. J’ai finalement écrit la pièce en quatre parties.
La première est la naissance de la vie (bruit du souffle). S’ensuit un mouvement allegro - comme le cri d’un nouveau né - dont les cellules rythmiques irrégulières dialoguent entre l’Airmachine et l’ensemble. Le troisième mouvement est une danse ternaire, lente, nostalgique, comme dans un rêve. Enfin, le dernier mouvement, plus rapide et mécanique laisse apparaître un bruit perpétuel de valves, orchestré petit à petit par des accents de membranes au son aigu et projeté qui aboutit en un nuage sonore de micro-intervalles.
La pièce est dédiée à Gaëlle Obiégly et Pierre Weiss.