L'Oracle de Nicosia est le premier de plusieurs travaux prévus pour la saison 2016-2017; cette œuvre est directement inspirée par les caractéristiques particulières de Chypre, ma patrie, et plus précisément ma ville natale Nicosie. La composition est écrite et dédiée à deux musiciens exceptionnels et défenseurs de la nouvelle musique, le contrebassiste Uli Fussenegger et la soprano Hélène Fauchère. Je n’ai jamais eu la chance d’utiliser de la poésie française dans aucun de mes travaux précédents, et j’ai été très heureux de collaborer avec Dorian Astor. Je connaissais déjà son œuvre exceptionnelle et ses précédentes collaborations avec des compositeurs. Aussi, après plusieurs échanges, Dorian Astor a-t-il créé le texte idéal en cohésion avec la vision que j’avais de mon nouveau travail, à la fois concis, évocateur, mystérieux, énigmatique et constitué d’une prose colorée, donnant naissance à un texte hymnique, de forme pourtant fragmentaire.
Les concepts clés s’articulent autour du mystère antique, l'univers ésotérique de l'oracle de Delphes, les Mystères d'Éleusis et les cultes dionysiaques ou orphiques. La musique suit ce chemin, et toutes les sections, musicalement cohérentes et liées en termes de propriétés musicales, visent également à évoquer les nuances des mots spécifiques, que ce soit dans la beauté du son lui-même ou de sa signification et de l'imagerie: par exemple, Hélios inspire un son triomphant, les oiseaux déclenchent une texture délicate et un cadre ludique à la composition, et il y a beaucoup de mots plus colorés qui provoquent des imageries sonores spécifiques et narratives.
L'apparition de l’oracle déclenche un monde sonore mystérieux où l'air, le silence, la hauteur, parole et le chant sont tous réunis dans un récit singulier. Dorian Astor écrit à propos de son texte: «la réflexion poétique que je tiens à explorer est en fait la question de la puissance prodigieuse qui relie, depuis l'antiquité grecque, le caractère indicible de l'essence même de la nature et le
La musique et la voix jouent un rôle clé; ils sont porteurs de ce mystère et de cette mélancolie. Deux éléments décisifs, livrés par le compositeur Evis Sammoutis, me rassurèrent sur le chemin que je voulais emprunter: d'une part, sa pratique musicale à la recherche d'un langage concentré presque jusqu’à l’épuisement, à la limite de séparer le mutisme d'un pur idiome. D'autre part, la fascination qu'il inspire en moi de partager un réel espace géographique, chargé d'une histoire tragique et d’un silence assourdissant: l'ancien aéroport de Nicosie, un territoire divisé qui a déchiré Chypre, un vaste no man’s land contrôlé par l'ONU, un lieu abandonné depuis quarante ans.
Je voudrais que le discours hymnique ou oraculaire de cette composition s’élève dans le rare air qui s’étend au-dessus des pistes abandonnées, où les gens ont une fois volé vers le ciel et qui est lui-même aujourd'hui tragiquement suspendu entre ciel et terre, entre la nature et les dieux, entre la musique du vent et le silence du désert. L'Oracle de Nicosia est rédigé en français, à la demande du compositeur, qui voulait quitter mon écriture et sortir de ma langue maternelle. Le choix de la langue française m’a également encouragé à me laisser inspirer par l'hermétisme symbolique mallarméen, un écho poétique moderne de l'ésotérisme grec».