Cosima Wagner : « Richard a eu une mauvaise nuit avec des rêves terribles, il voulait jouer le Prélude de Bach, mais il fallait pour cela de la viande hachée et il n’y en avait pas… murmures, effroi, cris, réveil. »
Seul vrai continuateur de l’œuvre de Wagner, démiurge de l’opéra, Karlheinz Stockhausen est mieux organisé. Il rêve prêt à l’emploi. Nuit du 9 au 10 décembre 1970 : « J’ai rêvé d’une pièce d’orchestre… les sièges étaient en rang… un mur de son s’ouvrait à intervalles réguliers d’environ vingt secondes permettant à la musique du fond de passer – un mixte de bois et cuivres – et j’entendais les instruments graves donnant les fondamentales dans des timbres colorés comme des mixtures d’orgue. » Il n’a plus qu’à se lever et (re)coucher ça sur le papier.
L’œuvre, entièrement conçue en songe, musique et mise en scène, est notée au réveil. Avec cette image primordiale : des alignements d’instrumentistes à cordes, assis, face au public, sur toute la largeur du plateau, et derrière lesquels se placent quatre groupes de vents et de
Comme le rideau d’un théâtre sonore qui tantôt s’ouvre tantôt se referme sur une scène splendide de gestes, de mélodies et de traits colorés. Stockhausen y conserve aussi en mémoire un métier à tisser, dont il avait auparavant écouté la mécanique à Bali, ou encore, plus secrètement, des aiguillages ferroviaires d’autrefois.
Quand il fait ce rêve, Karlheinz Stockhausen vient de revenir d’une série de concerts triomphaux à l’Exposition universelle d’Osaka. Là, dans l’auditorium sphérique du pavillon allemand, il a présenté et fait jouer cinq heures par jour ses œuvres qui ont été entendues par un million de visiteurs. Né de la sphère matricielle japonaise et des vapeurs de la reconnaissance universelle, Trans est l’instant où la musique de Stockhausen bascule de la réalité au songe, de la maîtrise artisanale à la projection de l’inconscient, du possible à l’improbable, du concert au mystère. Trans porta un temps le titre Jenseits (Au-delà), méditation sur l’«autre côté», là où serait une musique totale. Toute d’expansions et de rétractations, Trans respire « l’air d’autres planètes » et annonce le vaste cycle opératique de Licht.