Claude Vivier fut l’élève de Stockhausen, justement au début des années septante (quand Stockhausen écrivait Trans), avant de partir à Bali apprendre le gamelan. Stockhausen fut son père de substitution, l’Orient son horizon, mais son rêve, c’eut été de connaître sa mère. Enfant abandonné à la naissance, il l’imagine lui chantant une berceuse dans Lonely Child, la plus émouvante de ses œuvres. Dans un rituel scandé par la grosse caisse et le chhing, tour à tour berceuse, chant quasi-liturgique ou déclamation lyrique, il attend la venue des rêves et parle la langue des fées (le poème chanté est de la main de Vivier) :
Bel enfant de la lumière dors, dors, dors, toujours dors.
Les rêves viendront, les douces fées viendront danser avec toi.
Merveille, les fées et les elfes te fêteront, la farandole joyeuse t'enivrera.
Ami.
Dors, mon enfant, ouvrez-vous portes de diamant, palais somptuex,
mon enfant, les hirondelles guideront tes pas.
Kuré nouyazo na-oudè waki nannoni eudou-a.
Dors, mon enfant.
Dadodi yo rrr-zu-i yo a-e-i dage dage da è-i-ou dage dage ou-a-è dagè dadoudè dagè dagè dagè
na-ou-è ka jadè-do yanousè mayo rès tè de-i-a wè nanoni nowi i-è ka.
Les étoiles font des bonds prodigieux dans l'espace, temps, dimensions zébréés de couleurs.
Les temps en paraboles discutent de Merlin, les magiciens merveilleux embrassent le soleil d'or,
les acrobates touchent du nez les étoiles pas trop sages, les jardins font rêver aux moines mauves.
Reves d'enfant, donnez-moi la main et allons voir la fée Carabosse, son palais de jade sis au millieu des
morceaux de rêves oubliés déjà flotte éternellement.
Oh reine des aubes bleues donne-moi s'il
Oh Reine.
Koré noy Tazio.
Koré kore Tazio Tazio Tazio.
Koré noy na-ou yasin kè.
L'heliante douce dirige vers les étoiles l'énergie sublime, Tazio, la langue des fées, tu la parleras
et tu verras l'amour, Tazio, tendrement tes yeux verts, puiseront dans les lambeaux de contes
surannés pour en créer un vrai le tien, Tazio, donne-moi la main, Tazio, Tazio, et l'espoir
du temps, du temps.
Hors temps apparaît mon enfant, les étoiles au ciel brillent pour
toi, Tazio, et t'aiment éternellement.
« Lonely Child est un long chant de solitude. Pour la construction musicale, je voulais avoir un pouvoir total au niveau de l'expression, du développement musical sur l'œuvre que je composais sans utiliser d'accords, d'harmonie ou de contrepoints. Je voulais en arriver à une musique très homophonique qui se transformerait en une seule mélodie laquelle mélodie serait «intervallisée». J'avais déjà composé la première mélodie, entendue au début de la pièce, pour des danseurs. Par la suite, j'ai développé cette mélodie en cinq fragments mélodiques «intervallisés», c'est-à-dire en ajoutant une note au-dessous d'une autre, ce qui donne des intervalles, des tierces, des quintes, des secondes mineures, des secondes majeures, etc. Si on fait une sorte d'addition des fréquences de chacun des intervalles, on arrive à un timbre. Il n'y a donc plus d'accords et toute la masse orchestrale se trouve alors transformée en un timbre. La rugosité et l'intensité de ce timbre dépendent de l'intervalle de base. Musicalement, j'avais une seule chose à maîtriser qui, par automatisme, d'une certaine façon, devait engendrer tout le reste de la musique, c'est-à-dire de grands faisceaux de couleurs! »