Jonathan Harvey

Bhakti  (1982)  #53’
pour ensemble et électronique


D.R.
En concert
Corrosions électroniques - 31.03 20h

Vidéo

Composé en 1982, Bhakti est une œuvre phare et révélatrice de cet état d'esprit combinant recherche de transcendance et technologies sophistiquées et pourtant parfaitement «humanisées». Conscient des limitations de la formule «musique pour instruments et bande», qui oppose à la flexibilité des interprètes la rigidité de la bande, Harvey a réussi à insuffler une dynamique nouvelle dans le traitement de cette interaction. C'est ainsi que la bande n'apparaît pas de manière continue dans l'œuvre, mais seulement par fragments relativement courts. Dans certaines parties, la bande n'intervient pas du tout; dans d'autres, au contraire, elle agit en instrument solo. Les sons entendus sur cette bande proviennent de sons instrumentaux transformés par l'ordinateur. De ce fait, Harvey s'est littéralement joué de la différence fondamentale qui subsiste entre le son instrumental (localisé, lié aux possibilités et défauts de l'instrumentiste) et la musique électronique: en fait, ce sont les mêmes sons que l'on entend dans des contextes fondamentalement différents. La bande remplit de ce fait plusieurs fonctions: «dialogue, transformation, mémoire, anticipation, «traduction simultanée», passage de l'échelle instrumentale à une dimension plus universelle.» (Jonathan Harvey, Bhakti, notes de la partition.) Cette relation très poussée entre la bande et les instruments est une des clés de l'œuvre, qui témoigne d'une réussite rare en ce domaine. Mais l'utilisation de l'électronique le pousse également à revoir sa conception du langage musical et de la forme. Ainsi, l'harmonie n'est plus ni tonale ni sérielle: bien que basée sur une accord de référence à douze sons, elle est entièrement construite sur le principe de symétrie et non sur cette forme de gravité musicale qui a régi toute la musique occidentale depuis le XVIIIe siècle. Au lieu que ce soient les sons les plus graves qui constituent un point de

référence et qui attirent les autres sons «vers le bas», l'harmonie se construit ici «au milieu», conférant à l'ensemble une plus grande légèreté: à partir du so l central (que l'on entend dès le début de l'œuvre) et du la bémo l un demi-ton plus haut, les autres sons s'agencent en respectant les mêmes intervalles au-dessus et en-dessous de ces notes. Les sons de l'accord de base peuvent également être utilisés de manière «horizontale»: mais même sous cette forme mélodique, Harvey préfère l'écriture homophonique au contrepoint. Les unissons sont fréquents et contribuent à créer ces mélodies-timbres caractéristiques chez Harvey, car la sonorité y est indissociable de la ligne mélodique ou de l'harmonie. La symétrie de la forme se reflète dans une structure en douze parties, parfois enchaînées, parfois séparées par une courte pause. Dans la partition, chacun des mouvements se trouve annoté, à la fin, d'une phrase tirée des hymnes védiques (écrits il y a plus de quatre mille ans) qui illumine le propos musical par un contrepoint spirituel. Une ouverture vers la transcendance, qui forme également un lien entre les sections.

1 Ni le non-être n'existait alors, ni l'Etre…

Tels des vents impétueux, les élixirs m'ont transporté…

C'est de l'onde qu'est né un être viril et noble…

Les navettes à tisser, ils en ont fait des mélodies…

Commentaire sur III

Se complaisant en leur force, les coursiers célestes…

Quand la goutte vient à l'océan, contemplant la vaste étendue…

Parlez vous-mêmes aux Pierres… portez à Indra votre rumeur rythmée!…

L'univers entier existe grâce à la syllabe immortelle qu'elle émet.

10

L'Aube a fendu les ténèbres comme un troupeau de vaches qui s'échappe de son enclos.

11 L'oiseau porte en son coeur la parole que le jeune homme divin prononça dans la matrice…

12 Nous avons bu le soma, nous sommes devenus immortels…

D'après Eric De Visscher