Les temps ont changé, très lentement les mentalités. En 1931, Ruth Crawford-Seeger, compositrice américaine écrit un Quatuor. L'œuvre, comme toutes celles qu'elle nous a laissées, est géniale et incroyablement en avance sur son époque. Elle y invente une écriture sérielle qu'elle n'applique pas seulement aux hauteurs des sons, mais aussi à d'autres paramètres sonores comme l'intensité, préfigurant par cela l'École de Darmstadt qui, dans les années 1950, imposera le sérialisme intégral. Officiellement, l'idée n'est apparue qu'en 1950, dans le Mode de valeurs et d'intensités d'Olivier Messiaen. Cette pièce pour piano enthousiasma le jeune
Stockhausen qui vint à Paris suivre l'enseignement du maître. C'est la naissance de la «musique contemporaine», qui eût pu naître vingt ans auparavant si l'on avait prêté attention aux femmes. Personne ne connaissait Ruth Crawford-Seeger, précurseure, avant-gardiste, mais femme avant tout de son mari Charles Seeger, compositeur théoricien du contrepoint dissonant, à qui elle sacrifia son talent en cessant d'écrire après son mariage. Pourquoi est-elle absente des livres d'histoire de la musique quand on célèbre tant d'autres novateurs pour leur audace, eux aussi marginaux en leur temps, tels Ives, Varèse, Scelsi?
Marc Texier
directeur général d'Archipel