Ruth Crawford Seeger, Mike Seeger, Peggy Seeger et Charles Seeger, ca 1937
Parmi les œuvres écrites durant les années 1930, le Quatuor à cordes (1931) et les Three Songs (1932) pour contralto, hautbois, percussion et piano, avec ou sans ostinato orchestral forment l'apogée de sa carrière compositionnelle.
Dans son excellent livre consacré à la musique expérimentale américaine, David Nicholls explique comment Crawford-Seeger parvint dans son Quatuor à une synthèse des techniques explorées précédemment, l'amenant de la ligne dissonante des Diaphonic Suites à l'organisation globale des quatre mouvements dans cette œuvre. Certaines caractéristiques du Quatuor dénotent son esprit explorateur et sa sûreté formelle: le troisième mouvement par exemple est fondé principalement sur un canon à quatre voix, non pas mélodique ou rythmique, mais d'intensité; les relations créées par ces variations dynamiques sur le contrepoint mélodique entre les voix constituent le facteur principal de tension dans le discours musical. Le canon est conçu de telle manière que la plupart du temps aucun des quatre instruments ne joue à la même intensité en même temps. Comme les musiciens jouent tous des notes tenues - et changeantes -, il en résulte un incessant mouvement de va-et-vient entre les différents hauteurs et
timbres des quatre instruments. Ce type de découverte sonore n'a d'équivalent que dans certaines musiques des années soixante, lorsque l'exploration de textures instrumentales complexes sera transformée en procédé stylistique. Dans le premier mouvement du Quatuor, Crawford-Seeger semble retrouver l'esprit d'une certaine «tradition» américaine venant de Ives: la grande indépendance polyphonique des voix est la réminiscence des «collisions» de mondes harmoniques, mélodiques, rythmiques (et même de vitesses) de Ives. Mais ici c'est l'extension des principes du contrepoint dissonant qui crée une hétérophonie presque continuelle entre les voix. Cette attitude entraîne dans le Quatuor la découverte de méthodes d'organisation assez radicales pour l'époque: par exemple certaines successions de hauteurs sont dissociées de leurs rythmes originaux et sont réutilisées plus loin avec des rythmes apparus dans un autre contexte, ou bien, comme nous l'avons vu plus haut, les intensités sont utilisées pour contrôler la progression dramatique, en priorité sur les autres paramètres. Dans le quatrième mouvement, on constate l'opposition entre des éléments organisés de manière systématique (sur des séquences de nombres croissants et décroissants), et la ligne du premier violon beaucoup plus libre dans son déroulement.
Joël-François Durand