Morton Feldman |
« The Viola in My Life II » 1970 #10’ |
pour alto et six instruments |

© D.R.
Au premier abord, j’entends la musique de Morton Feldman comme la transposition sonore d’un somptueux camaïeu de couleurs. Dans The Viola in My Life II, l’alto est comme en perpétuelle suspension, volant et dérivant lentement à travers les mailles assez lâches d’un canevas neutre, pure juxtaposition de couleurs pastels. Au départ il ne se différencie que très peu du groupe instrumental. Par l’absence apparente de relations entre les instruments, c’est vers le timbre que se porte toute l’attention: celui plutôt mat de l’alto en sourdine, celui, transparent, des deux bois et des deux cordes associés, les ponctuations cristallines du célesta, tout un univers flottant et suspendu auquel les légers trémolos de percussions semblent n’offrir qu’un lointain point d’attache au sol. Temps arrêté ou temps circulaire, l’oreille se fait contemplative, et se rend disponible au processus de mémoire auquel nous amène Morton Feldman: quelques silences, une raréfaction progressive de la matière sonore, vont préparer l’apparition de petits motifs mélodiques très simples, indices d’expressivité comme chantonnés par un enfant et repris en ritournelles. Mais point de voix d’enfant en réalité, cette voix sans sexe ni âge n’est que l’écho de voix ancestrales, affleurement d’une mémoire enfouie, étoile filante à rebours du cours inexorable du temps. |