Luc Ferrari |
« Presque rien » 1967-1970 #20’ |
ou Le lever du jour au bord de la mer, pour bande magnétique |

© Brunhild Ferrari
Si l’on accorde un sens au terme des Presque rien de Luc Ferrari, alors il convient de l’appliquer à Presque rien n°1, le lever du jour au bord de la mer, composition pour bande magnétique réalisée en 1970 par Luc Ferrari. Tout à la fois délicieusement panthéiste et, en ce siècle de destruction progressive de notre environnement naturel, ironiquement provocateur, l’éclair de pensée que constitue le titre de cette oeuvre est en lui-même, avant que le moindre son n’ait encore retenti, la première manifestation d’une inspiration poétique peu commune. La réussite de cette pièce de musique électroacoustique sera de maintenir, tout au long de son déroulement, l’attention de l’auditeur en conjuguant une apparente liberté sonore d’évènements imprévisibles avec l’architecture harmonieuse d’une polyphonie secrètement ordonnée. Bruits de ressac, formes sonores indistinctes, caquètements d’une poule, braiement d’un âne au loin... On sent qu’il fait encore nuit. Le moteur d’un bateau est mis en marche, une cigale frotte ses élytres et s’arrête. On est d’emblée fasciné par la transparence et l’ampleur de l’espace dans lequel tous ces éléments prennent place et s’articulent. Plusieurs cigales se sont mises de la partie: le soleil a commencé de se lever... Pour réaliser cette «restitution réaliste la plus fidèle possible d’un village de pêcheurs qui se réveille», Luc Ferrari a placé ses micros au bord de la fenêtre de la maison qu’il habitait, face à la Mer Adriatique, dans une île de l’archipel dalmate, lors d’un séjour en ex-Yougoslavie. Viendront plus tard, en studio, les subtiles retouches qui porteront la gradation de ce lever du jour à un «plus vrai que le vrai» musicalement magnifié. Des enfants s’appellent et leurs voix résonnent en échos, une voiture passe, une femme éclate de rire et chante une complainte, tandis que les cigales s’emparent peu à peu de tout l’espace sonore en une musique «répétitive» absolue. Brusquement, tout s’arrête: c’est la fin de la bande. Tout en voulant rester distant, Luc Ferrari guide notre écoute et donne les quelques coups de gouvernail nécessaires pour nous faire partir dans l’imaginaire. La neutralité de la prise de son est remplacée par le minimalisme actif du compositeur qui partage avec nous ces moments et nous imprègne d’une atmosphère simple mais riche en découvertes. |