Festival Archipel 2010
A
B
C
Ciceri: Tra le due Terre
Cendo: Scratch Data
Cendo/Pachini: Charge
Cimmino: Résonances de réminiscences
Crumb: Music for a Summer Evening
D
E
F
G
H
J
K
L
M
N
P
R
S
T
U
W
X
Z
Crumb, George
D.R.

Music for a Summer Evening (Makrokosmos III), pour deux pianos amplifiés et percussion, a été terminée en 1974. L’œuvre était une commande de la Fondation Fromm et était spécifiquement écrite pour (et dédiée à) Gilbert Kalish, James Freeman, Raymond DesRoches, et Richard Fitz. Ces musiciens de grand talent ont joué la pièce pour la première fois au Swarthmore College le 30 mars 1974.

Le premier à utiliser la combinaison de deux pianos et percussion fut bien entendu Béla Bartòk, dans sa Sonate de 1937, et il est curieux que d’autres compositeurs n’aient pas immédiatement contribué au genre. Bartòk était l’un des premiers compositeurs à écrire de véritables passages expressifs pour les instruments à percussion. Depuis lors une véritable révolution a eu lieu dans la technique et les idiomes de la percussion, et la musique contemporaine a donc inévitablement assimilé ces développements. La batterie des instruments de percussion requise pour Summer

Evening est assez complète et inclut vibraphone, xylophone, glockenspiel, cloches tubulaires/carillons, crotales (cymbales antiques), chapeau chinois, claves, maracas, grelots, wood blocks et temple blocks, triangles, et de nombreuses variétés de tambours, tam-tams et cymbales. Certains instruments exotiques (et dans certains cas assez anciens) sont employés occasionnellement pour leur caractéristiques de timbre spéciales, par exemple : deux flûtes à coulisse (dans la Wanderer-Fantasy), une feuille tonnerre en métal (dans The Advent), un tambour de bois africain, une mâchoire d’âne, un sistre, une pierre de prière tibétaine, une boîte à meuh, une flûte à bec alto et, dans Myth, un kalimba africain et un guiro (joué par les pianistes). Certains des sons plus éthérés de Summer Evening sont produits en frottant un archet de contrebasse sur les Tam-tams, les crotales et les lames de vibraphone. Cette variété kaléidoscopique des timbres de percussion est intégrée à une grande variété de sons spéciaux produits par les pianistes. Dans Music of the Starry Night par exemple, les cordes de piano sont couvertes de feuilles de papier produisant une distorsion assez surréaliste du son du piano lorsque les cordes sont frappées.

Comme dans nombre de mes œuvres, la construction musicale de Summer Evening résulte largement de l’élaboration de minuscules cellules dans une sorte de structure en mosaïque. Cette vieille technique semble fonctionner comme un mode de structuration primaire dans une grande partie de la musique contemporaine, et ceci sans parler de style. Dans son style global, Summer Evening pourrait être décrit comme plus ou moins atonal, ou plus ou moins tonal. Les passages les plus manifestement tonals peuvent être définis dans les termes de polarité entre Fa dièse et Ré dièse mineur (ou par enharmonie Sol bémol et Mi bémol mineur). Cette polarité (plus traditionnelle) revient deux fois dans The Advent, dans le passage crescendo de l’ouverture (majestic, like a larger rhythm of nature), et dans l’hymne conclusif Hymn for the Nativity of the Star-Child. On le retrouve dans Music of the Starry Night, avec la citation de passages la Fugue en Ré dièze mineur de Bach (Clavier bien tempéré, livre II) et un Song of Reconciliation final en Sol mineur (recouvert d’une résonance intermittente de Fivefold Galactic Bells en Fa dièze). Un autre dispositif structurel que l’auditeur attentif pourrait percevoir est la construction isorythmique de Myth (pour instruments à percussion), qui consiste en une performance simultanée de Taléas de 13, 7 et 11 mesures.

J’imagine Summer Evening comme une large courbe expressive et clairement articulée sur une durée d’environ 40 minutes. Les premier, troisième et cinquième mouvements, qui sont écrits pour l’ensemble des instruments et présentés sur une large échelle, pourraient sembler définir la source primaire de cette œuvre (qui pourrait être interprétée comme une espèce de « drame cosmique »). D’un autre côté, Wanderer Fantasy (en grande partie pour les pianos seuls) et la pièce en quelque sorte atavique qu’est Myth (pour les instruments de percussion) ont été conçues comme des pièces oniriques fonctionnant telles des intermezzos dans la séquence globale des mouvements.

Les trois mouvements les plus importants comprennent des citations musicales qui occupaient beaucoup mon esprit durant le processus de composition et qui, je le crois, trouvent leur résonance symbolique dans les sons de Summer Evening. Nocturnal Sounds est écrit avec un extrait de Odo risonanze effimere, oblío di piena notte nell'acqua stellata (J’entend des résonances éphémères, oubli de pleine nuit dans l’eau étoilée). The Advent est associé à un passage de Pascal : Le silence éternel des espaces infinis m'effraie. Et le dernier mouvement, Music of the Starry Night, cite cette merveilleuse image transcendante de Rilke : Und in den Nächten fällt die schwere Erde aus allen Sternen in die Einsamkeit. Wir alle fallen. Und doch ist Einer, welcher dieses Fallen unendlich sanft in seinen Händen hält (Et dans la nuit de toutes les étoiles tombe la lourde terre dans la solitude. Nous tombons tous. Et il y en a encore un, qui porte avec une douceur sans fin dans ses mains cette chute.)

Pour conclure, j’ai le sentiment qu’il serait approprié de souligner le rôle extrêmement important joué par les interprètes dans l’évolution de tout nouveau langage musical. La musique contemporaine, avec ses exigences techniques et expressives énormes, dépend pour son véritable existence d’un type d’interprète pionnier qui, en fait, est engagé dans la création et la codification de son Aufführungspraxis de notre temps. Le nombre d'interprètes qui s'investissent à ce point n’est peut-être pas très grand, mais par chance ils existent et j’ai eu le plaisir de collaborer avec quatre d’entre eux pour l’enregistrement de Music for a Summer Evening. Leurs efforts furent sans fin, leur but artistique inébranlable et sans compromis. Je leur en suis très reconnaissant.

George Crumb