En 1934 Weill compose sur des textes français plusieurs chansons dans le style « goualante » telles que Complainte de la Seine sur des poèmes de Maurice Magre, blues chantés pendant les numéros de la diseuse Lys Gauty. Cette chanson figure en bonne place parmi les Six Songs arrangés par le compositeur pour Lotte Lenya en 1942. Cette mélopée sombre et funèbre est très caractéristique du style Weill (rythmique balancée, alternance majeur-mineur, passages parlés, contrastes de nuances). Demeurée populaire en France, elle devint un chant de la Résistance dans l'attente du débarquement allié.

Au fond de la Seine
Il y a de l'or,
Des bateaux rouillés,
Des bijoux, des armes.
Au fond de la Seine
Il y a des morts.
Au fond de la Seine
Il y a des larmes.

Au fond de la Seine
Il y a des fleurs,
De vase et de boue
Elles sont nourries.
Au fond de la Seine
Il y a des coeurs
Qui souffrirent trop
Pour vivre la vie.

Et puis les cailloux
Et des bêtes grises,
L'âme des égoûts
Soufflant des poisons,
Les anneaux jetés
Par des incomprises,
Des pieds qu'une hélice
A coupés du tronc.

Et les fruits maudits
Des ventres stériles,
Les blancs avortés
Que nul n'aima,
Les vomissements
De la grand ville,
Au fond de la Seine
Il y a cela.

Ô Seine clémente
Où vont les cadavres
Ô lit dont les draps
Sont faits de limon.
Fleuve des déchets
Sans fanal ni havre,
Chanteuse berçant
La morgue et les ponts.

Accueille le pauvre
Accueille la femme
Accueille l'ivrogne
Accueille le fou
Mêle leurs sanglots
Au bruit de tes larmes
Et porte leur coeur
Parmi les cailloux.

Au fond de la Seine
Il y a de l'or,
Des bateaux rouillés,
Des bijoux, des armes.
Au fond de la Seine
Il y a des morts.
Au fond de la Seine
Il y a des larmes.