Auteurs

Bernd Alois Zimmermann
Compositeur allemand né le 20 mars 1918 à Bliesheim, près de Cologne, mort le 10 août 1970 à Königsdorf
Intercomunicazione joué le 24 mars à 18h

D.R.

Bernd Alois Zimmermann, né le 20 mars 1918 près de Cologne, a été élevé jusqu'à ses dix-sept ans par les Salvatoriens. Il se passionne pour la philologie et la philosophie. Ses professeurs, malgré leur réputation de sévérité, l'autorisent à toucher l'orgue baroque du couvent quand il a de bonnes notes. Bientôt c'est lui qui tient l'orgue pendant les messes. Mais la politique vient briser la formation harmonieuse du jeune compositeur. En 1933, les Nazis étendent la censure à l'art moderne ; en 1935, le couvent des Salvatoriens est fermé. Après avoir terminé ses études dans un Gymnasium catholique, Zimmermann entrera à l'École de Musique de Cologne. Études interrompues à nouveau quand il est enrôlé pour être envoyé en France avec les troupes d'occupation. À Paris, il lit pour la première fois des oeuvres contemporaines : partitions de Stravinsky et de Milhaud qui le marqueront fortement. De retour en Allemagne, en 1942, il reprend ses études de composition auprès de Philipp Jarnach, puis avec Heinrich Lemacher, compositeur religieux qui l’initie à la musique de la Renaissance.

Entré comme stagiaire à la Radio de Cologne, il devient responsable du département des musiques de scène et de film, consacrant alors une grande partie de sa vie à cette besogne alimentaire, sans pourtant qu'elle devienne pour lui une occupation ennuyeuse ou infamante. Il compose dans un style néo-classique, mêlant danses brésiliennes et danses baroque (Alagoana 1940-1950), Bach et la rumba (Concerto pour violon, Sonate pour violon seul). La superbe Symphonie en un mouvement (1947-1953) est sa dernière oeuvre tonale (en Ré) et première d'une longue suite où cette note signifiera la mort.

Prenant conscience de l’importance de la révolution musicale du sérialisme, il reprend ses études auprès de Wolfgang Fortner et René Leibowitz durant les cours d'été de Darmstadt en 1948-1950. Sa première tentative sérielle s'intitule symboliquement Exercitien (1952), mais le titre des mouvements : Vigil, Hora, Matutin, montre assez qu'il s'agit d'exercices spirituels plus que techniques. Puis son concerto pour trompette, Nobody knows the trouble I see (1954), relativise déjà la musique sérielle, puisqu'il y amalgame le prélude de choral au negro spiritual, la dodécaphonie au jazz. Il récidive avec sa Sonate pour alto (1955) où le choral Gelobet seist Du Jesu Christ sert de cantus firmus à la série. Quand apparemment, il écrit une oeuvre stricte, comme son magnifique Canto di Speranza, «cantate» pour violoncelle et orchestre, Zimmermann en contradiction complète avec le principe sériel, y permute l'ordre des notes au lieu d'en transposer la succession immuable : il en résulte une grande stabilité harmonique, qui jointe à l'utilisation de formes de développement en spirale, confère à sa musique un parfum d'éternité.

Avec le sérialisme, il liquide les dernières traces de tonalité dans son écriture, et de référence au néoclassicisme. Mais il est convaincu de la relativité des systèmes d'écriture, respecte profondément toutes les formes d'imaginations musicales, même les plus mercantiles. Zimmermann incorpore donc le sérialisme comme une nouvelle variété musicale d’un système pluraliste, en opposition aux tenants de la pureté sérielle, qui voulaient que ce langage remplace et annule tous les précédents. Zimmermann ne sépare pas son travail d'illustrateur sonore à la Radio de Cologne, de l'écriture de son oeuvre proprement dite. La radio est le laboratoire où il expérimente les collages musicaux les plus inattendus, lui donnant une habileté dans le mélange des genres et des sons qui trouvera son aboutissement avec le Requiem pour un Jeune Poète (1968) où il condense cinquante ans de culture européenne en une seule oeuvre littéraire, symphonique, chorale et radiophonique. L'éclectisme inhérent à la radio, étayé par sa conception philosophique du temps, et sa lecture de Saint Augustin, l'ont conduit à formuler son idée du pluralisme stylistique, et de la sphéricité du temps. A la temporalité cosmique, soumise au phénomène de succession, il oppose le temps psychologique, intérieur, qui est courbe, et où, grâce à la mémoire et à l'imagination, passé, présent, et avenir se confondent. Cette thèse, il l'a défend dans une émission pour la WDR en 1963 : Six siècles d'Ars Nova, où, de Guillaume de Machaut à Webern, des motets isorythmiques à la Deuxième Cantate, il montre que l'expérience musicale s'est comme refermée sur elle-même. Dans ce grand mouvement circulaire de l'imagination musicale, où chaque compositeur peut être considéré comme point initial, ou aboutissement, de tous les autres, Zimmermann souligne qu'il existe quelques musiques premières qu'on ne peut, comme les nombres premiers, diviser ni déduire d'aucune autre : c'est le grégorien, les Franco-Flamands, Palestrina, Bach, Mozart, Debussy et Webern. Ses seuls vrais maîtres.

Jusqu'au début des années 1960, Zimmermann tout à la fois engrange de nouvelles influences, et lutte, par le recours à la série, contre les risques d'éclatement résultant de cette pluralité stylistique : il souhaite l'éclectisme et l'accrétion, une synthèse qui dépasse la notion même de style, et l'obtient effectivement dans son opéra Die Soldaten. Aboutissement de son évolution, il y atteint une parfaite unification des formes contradictoires de la musique baroque et de la série, des expressionnistes adverses du jazz et de l'art classique, des techniques incompatibles de l'orchestre et de l'électroacoustique ; le tout fondu dans un même grand mouvement circulaire où le drame peu à peu se mue en liturgie.

Mais Les Soldats, représentent aussi le sommet d'un cycle évolutif, à partir duquel Zimmermann laissera glisser son oeuvre vers l'éclatement et le silence, et lui-même, vers la dépression puis la mort. Dès l'acte II des Soldats, il déchaîne les forces centrifuges, recourant à une nouvelle technique, le collage (Bach plus jazz), qui est certes la conséquence logique de son pluralisme esthétique, mais qu'il évitait auparavant, préférant l'emprunt stylistique à la citation pure et simple, l'intégration à la rupture. C'est le début de toute une série d'oeuvres où la polyphonie des notes individuelles fait place à une composition par couches tout à la fois indépendantes et communicantes. Dialogues (1960, pour deux piano et orchestre) est un chef-d'oeuvre où apparaissent quelques-unes des musiques premières chères à son coeur : Jeux de Debussy, le Concerto pour piano en Do K.467 de Mozart, le Veni Creator Spiritus... Antiphonen (Concerto pour alto, 1961) passe encore une étape en collant musique et textes de Joyce, Pound, Camus, Dostoïvsky, Novalis, et de la Bible. Présence y ajoute encore l'épaisseur de la danse et du théâtre. Enfin l'étourdissante, truculente, sarcastique, et morbide Musique pour les soupers du roi Ubu n'est plus qu'un gigantesque collage de citations, où aucune note n'est la sienne, et la musique partout de lui.

Puis, comme si la ronde des époques s'était si bien accélérée qu'elle ne présentait plus à son regard que l'apparence d'un cercle parfaitement lisse, Zimmermann noie les citations dans le continuum de ses dernières oeuvres orchestrales. Continuum lumineux de Photoptosis (1968), inspiré du bleu des Monochromes de Klein, d'où surgit encore, comme avant l'engloutissement, quelques grands mâts musicaux : l'Hymne à la joie, Parsifal, le Poème de l'Extase. Continuum sonore de Stille und Umkehr (1970) transpercé de part en part d'un Ré tenu, qui est la mort.

Zimmermann signa une grande partie de ses oeuvres des lettres OAMDG (Oeuvre à la plus grande gloire de Dieu), il emprunte au Livre de l'Ecclésiaste les titres de ses oeuvres : Omnia tempus habent (Il y a un temps pour tout, cantate de 1957) ; Tempus loquendi («Un temps pour se taire, un temps pour parler», pièce elliptique pour flûte de 1963) ; enfin son testament musical Ich wandt mich und sah an alles unrecht das geschah unter der Sonne (Je me retournai et regardai toute l'injustice qui est sous le soleil), action ecclésiastique pour deux récitants, basse solo, et orchestre de 1970, qu'il n'entendra jamais s'étant suicidé le 10 août de cette même année, met en scène, dans un dépouillement saisissant, la parabole du Grand Inquisiteur qui s'adresse à Dieu pour lui reprocher d'avoir cru en l'homme.

Marc Texier