Œuvres

Nadir Vassena
Coreografie incerte  2009 #14mn
pour flûte basse, alto et violoncelle
Commande: Swiss Chamber Concerts
Joué le 1er avril à 11h

D.R.

Faire de la musique, comme tout autre activité humaine même peu complexe, est le résultat d'une somme de pratiques infinies: de celles plus spécifiquement instrumentales (savoir contrôler l'instrument, savoir lire les notes, jouer au tempo, etc) à celles apparemment plus génériques (comme se regarder dans les yeux pour se donner un signe d'entrée, ou simplement savoir rester assis sur la chaise). Nous sommes tellement habitués à tout cela que l'on ne se rend pratiquement plus compte de cette chorégraphie.

Mais que se passe-t-il si l'on modifie même minimalement une ou plusieurs de ces pratiques établies ? C'est la direction générale de la recherche que je poursuis dans mes derniers travaux. Dans 5 Stanze buie - flûte déambulante, violoncelle, piano et autres métapratiques – j'ai bandé les yeux de deux des musiciens pour redéfinir complètement le rapport entre musicien et partition (que, de manière évidente, ils sont incapables de lire) . Dans un autre cas –…altri inverni… pour ensemble électrifié et sons synthétiques – c'est surtout la pratique même de l'interprétation de la partition qui est dénaturée, dans une sorte de parcours à choix multiple laissé à la liberté de l'interprète.

Dans la pièce de ce soir, Coregrafie incerte, pour flûte, alto et violoncelle, la tentative des travaux précédents de percer l'écriture, de passer outre, pour redonner à l'expérience musicale une nouvelle immédiateté est moins évidente. La première section se passe complètement dans le noir: les musiciens jouent de mémoire et/ou interagissent entre eux tout en émergeant petit à petit du bruit de fond. Mais le travail se focalise par-dessus tout sur la modification de la pratique proprement musicale (que ce soit du point de vue technique instrumental ou de celui du jeu d'ensemble si caractéristique de la musique de chambre). Le niveau de certitude et d'incertitude est modulé de diverses manières: à certains moments, les instrumentistes jouent par exemple avec le même métronome individuel mais sans être coordonnés entre eux, à d'autres moments, la scansion temporelle est pratiquement suspendue et ils doivent réagir à des signaux réciproques émanant des uns ou des autres.

Ces nouvelles habitudes (que j'appelle métapratiques) restent telles seulement jusqu'à ce qu'elles soient à leur tour englobées et intériorisées, redéfinissant ainsi des frontières sans cesse en mouvement. En pensant les sons, non comme des objets, mais comme des évènements, on peut marquer la trace (acoustique ou non) de la redéfinition d'une nouvelle pratique (ou comme il arrive plus souvent de la relecture d'une pratique ancienne). C'est un exercice public et obscène en même temps (d'après l'étymologie d'obscenus, ce qu'on ne peut mettre sur la scène ou ce qui y reste quand on ne s'y met pas), un exercice qui crée le scandale (étymologiquement, avoir des incertitudes), parce qu'il met face à face, en le transposant sur la scène, le non-sens de l'existence humaine.

Cette pièce est dédiée à Jürg Dähler, Daniel Haefliger et Felix Renggli.

Nadir Vassena