Œuvres

Samuel Beckett  (texte) / Neil Jordan  (vidéo)
Not I  1972/2000 #14mn
pièce filmée
Joué le 24 mars à 18h

© Neil Jordan

Not I, l'humain, l'humaine dans ce cas précis, n'a carrément plus de corps. De ces restes humains, tout ce qui demeure est une bouche, organe de la parole qui, tout en ressentant fortement l'urgence de dire, n'arrive plus à le faire de façon compréhensible. Alors que dans la pièce, Bouche se tient dans le vide, entourée de noir, plongée dans le néant d'un espace dénudé, dans le film, Beckett utilise le gros plan et nous rapproche sensiblement de Bouche. Afin de souligner encore davantage l'essoufflement, l'effritement, Beckett tourne un long plan séquence, sans plan de coupe, qui dure la totalité du texte dit par Bouche, soit quelque douze minutes. Avec Not I, nous sommes plongés au cœur d'une logorrhée ininterrompue, d'un soliloque effréné. Nous sommes attachés à l'univers étrange de ces lèvres qui ont sans doute jadis appartenu à une femme. De cette bouche qui a sans doute jadis un jour été. Fabuleuse, Billie Whitelaw halète, inspire, expire et respire ce poème dramatique. De plus en plus hachuré, syncopé, du chuchotement au chuchotement, cette bouche, ces lèvres, ces dents, cette langue qui nous sont présentés en gros plan, comme ces cris, ces What ? et ces questions incessantes qui retentissent de cet organe emplissant l'image, nous entraînent au cœur d'un tourbillon de mots qui s'entrechoquent, se complètent et s'annulent. Numéro d'actrice de haute voltige, film intense, propos trouble et troublant, Not I demeure non seulement un témoin privilégié du projet artistique de Samuel Beckett, mais également une preuve de la tragique beauté de l'univers qu'il met en place à l'intérieur de son processus de création.

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