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Genèse Genève
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Photo Régis Golay © Archipel, 2014

La question du tempérament, qui court tout au long de l'histoire de la musique, incarne l'éternelle opposition de la nature (les harmoniques des cordes vibrantes) et de la culture (l'accord des instruments à sons fixes), avec pour horizon lointain et mythique la musique et le théâtre grecs conçus comme le moment où l'homme ne faisait encore qu'un avec l'harmonie du cosmos. Cet âge d'or, quand l'art ne s'était pas encore divisé, spécialisé, ni séparé de la nature, hante l'œuvre de Heiner Goebbels qui refuse justement les frontières qui se sont dressées entre les formes d'expression - théâtre, musique, danse - et rêve de reconstruire une globalité de l'écoute et de la vision. Ainsi procède-t-il dans Les Chants des guerres que j'ai vues, spectacle pour instruments historiques et modernes, décor, lumières, récitations et citations baroques, d'après l'ouvrage homonyme de Gertrude Stein que nous donnons en création dans sa version française.

Retour aux origines également présent chez Thomas Adès et Jonathan Harvey, qui s'inspirent de la création selon la Bible (In Seven Days) ou de la réincarnation bouddhiste (Body Mandala). Ancrage antique chez Grisey qui évoque, au seuil de sa propre mort, les rites de passage dans l'au-delà en Grèce, en Égypte, à Sumer (Quatre Chants pour franchir le seuil). Ou chez Ferneyhough qui, suivant Deleuze, oppose Chronos à l'Aion, le temps de l'action et du corps, et le temps de l'instant en pur devenir (Chronos-Aion).

Si la mer est la source de toute vie, on peut, sans jeu de mot, dire que La Mer - de Debussy - est la matrice de toute modernité. Pour la première fois l'Orchestre National de Lyon est invité par Archipel et la Ville de Genève pour l'interpréter en écho à quelques œuvres qu'elle a directement inspirée: Toward the Sea II et November Steps de Takemitsu. Fasciné par la musique indonésienne, le pentatonisme, la gamme par tons, Debussy lui-même a bel et bien été le premier compositeur occidental à se poser la question du dépassement du tempérament égal.

Genève célèbre le bicentenaire de son entrée dans la Confédération helvétique, c'est l'occasion pour Archipel d'interroger l'apport créatif de cette cité cosmopolite à la Suisse et l'Europe. Nous créons au cours de six concerts des œuvres de musiciens genevois ou formés à Genève, en regard d'autres créations de musiciens de Suisse alémanique ou italienne. Ces concerts sont donnés dans divers cantons (à Lugano, Zurich, Bâle, Lausanne) et en France (Annemasse) par des ensembles et des studios genevois (Orchestre de Chambre de Genève, Ensemble Contemporain de la Haute École de Musique de Genève, Vortex, Fanfareduloup Orchestra et Centre de Musique Électronique), italo-tessinois (RepertorioZero), zurichois (Institut for Computer Music and Sound Technology) et vaudois (Lemanic Modern Ensemble). Des créations de Heinz Holliger, Xavier Dayer, Nicolas Bolens, John Menoud, Luis Naón, Alessio Sabella, Oscar Bianchi, Carlo Ciceri, Fernando Garnero, Loïc Sylvestre, Takuya Imahori, Carlos Hidalgo et Ursula Meyer-König dressent un panorama remarquable de la vitalité et de l'ouverture de la musique genevoise, de son insertion dans la vie musicale suisse et européenne. C'est également l'occasion de découvrir une partition récemment retrouvée de Gaspard Fritz, compositeur et violoniste genevois du XVIIIe siècle.

Marc Texier
directeur d'Archipel