En dépit de circonstances compositionnelles demeurant obscures, la dédicace au Baron de Brooke des Sei sonate a quatro Strumenti nous renseigne sur les conjonctures de publication du recueil de Gaspard Fritz édité à Londres en 1742. En effet, la publication du premier opus du compositeur genevois est intimement liée à un groupe de jeunes aristocrates anglais résidants à Genève avec lequel le musicien aurait été en contact autour des années 1740. Ceux-ci formaient une petite société d’expatriés temporaires nommés The Common Room of Geneva – dont De Brooke fit parti –qui organisa notamment une série de spectacles théâtraux avec accompagnement orchestral dirigé par Fritz entre 1738 et 1743. La publication de ces sonates aura vraisemblablement été encouragée par certains membres de cette confrérie.
Les Sei sonate a quatro Stromenti constituent un recueil hybride sur différents points. Initialement, se pose la question du nombre de parties – en référence à la page de titre et aux différents manuscrits des sonates – qui demeure sujette à discussion. S’agit-il de sonates a quatro ou a tre ? Écrites pour deux violons, un alto et une partie de basse pour clavecin ou violoncelle, il existe cependant quelques versions manuscrites attestant que certaines des pièces du recueil ont existé sous forme de sonate en trio ou en version pour orchestre. Aux vues du contexte historique, il est d'ailleurs étonnant que Fritz ait publié des sonates à quatre alors que la tendance est encore à l’écriture en trio. Cependant, l’analyse de la gravure de l’œuvre de 1742 nous montre un penchant à la répartition en trois parties.
Parallèlement à la question de la formation originale des Sei sonate,
se pose celle de la terminologie : s'agit-il de sonate ou de sinfonia ? Ne nous fions pas à la mention du titre qui n’est pas révélatrice des intentions du compositeur ; l’éditeur aura pu prendre des libertés à ce propos. Et rappelons en effet que des identifications et confusions similaires sont encore présentes au début XVIIIe siècle. D’un point de vue stylistique, les Sei sonate présentent un faible degré de différenciation entre l’écriture solistique et écriture orchestrale; les pièces varient entre le quatuor, la sonate en trio ou encore le concerto. Malgré une hétérogénéité certaine - plusieurs paramètres varient en effet d’une sonate à l’autre au niveau de la texture et du style notamment - les pièces du recueil adoptent pour la plupart un schéma similaire en trois mouvements: deux mouvements rapides encadrent un mouvement lent, généralement divisé en deux parties. De manière générale, ces pièces sont proches de la littérature italienne de Sammartini ou encore d’A. Brioschi. Par ailleurs, certains mouvements médians des sonates avec leurs courbes mélodiques sinueuses, leur complexité rythmique et leur éclairage harmonique révèlent une affinité préclassique du Empfinsamkeit.
Ces pages prouvent la maturité du compositeur dans sa connaissance des styles, lui permettant ainsi de créer une œuvre dont l’originalité repose sur le mélange des principes expressifs singuliers et d’un milieu formel reconnaissable. Autant d’éléments qui font de Fritz un défenseur des valeurs musicales absolues et un expérimentateur des plus originaux.