Turm-Musik, Musique de la Tour, pour flûte et ensemble a été intégrée après fragmentation au Scardenelli-Zyklus. Cette œuvre s’appuie sur les textes que Hölderlin écrivit au cours de la seconde moitié de sa vie — il était alors reclus à Tübingen, dans la maison du menuisier Zimmer. Ces poèmes, réalisés le plus souvent à la demande d’un visiteur, Hölderlin les signait du nom mystérieux de Scardanelli et il les affublait des dates les plus fantaisistes (le 3 mars 1648, le 15 novembre 1759, le 9 mars 1940, etc.). L’auteur d’Hypérion n’était-il pas devenu fou? C’est en tout cas ce que pensaient ses amis — et parmi eux le poète Mörike: ils n’hésitèrent pas à en jeter une grande partie. Holliger a été intrigué par ces textes qui sont comme le négatif des grandes œuvres de Hölderlin, auxquelles ils s’opposent par la simplicité, la régularité métrique, la naïveté et l’absence de toute subjectivité. Il a été attiré par cela même qui avait décontenancé les contemporains du poète, et jusqu’à ses exégètes les plus savants: le renoncement à tout ce qui avait fondé l’expérience poétique hölderlinienne. Car cette langue privée de métaphores et de fulgurances dévoile une impossibilité historique: l’avènement de la société nouvelle dont Hölderlin avait rêvé. Elle enregistre l’effondrement des valeurs liées aux idéaux de la Révolution française et de la Grèce antique, que Hölderlin avait chantées avec un lyrisme flamboyant dans Hypérion. Si la poésie visionnaire des grands hymnes était en effet porteuse d’un espoir messianique, les derniers poèmes se situent, comme leurs dates l’indiquent, hors du temps. Ils offrent une image presque édénique de la nature et de l’homme, loin de toute domination et de tout projet social, loin des élans et des révoltes du passé: désormais, «toute plainte est bannie».
Adoptant une forme conventionnelle dénuée de toute tension, ils invitent à la célébration sereine de l’étant: «Sans être dérangé, l’homme saisit le charme de l’année et considère la perfection de l’existence». Holliger a fait de cette absence de tension le principe de son œuvre, transposant dans la musique la transparence mystérieuse des poèmes. L’œuvre est sans commencement ni fin; elle ne comporte aucun point culminant, rien qui soit visé comme un sommet ou un point d’aboutissement, qui ressemble à une introduction ou à une coda, à un développement, à une réexposition, à un dénouement. De forme circulaire, Scardanelli-Zyklus («Cycle Scardanelli») échappe aux caractéristiques d’une dramaturgie classique: pendant près de trois heures, l’œuvre se déploie dans son caractère d’inexorabilité et de hiératisme, telle une cérémonie. Elle n’a pas été conçue comme une totalité, dans l’esprit de la forme monumentale, mais comme un journal dont les feuillets, liés à une idée centrale, s’ajoutent les uns aux autres. Véritable work in progress, l’œuvre s’est développée sur plus de quinze ans, de 1975 à 1991, et elle reste ouverte. Par trois fois, le chœur nous fait parcourir le cycle des saisons: ce sont les Jahreszeiten, qui forment le cercle central de l’œuvre, et qui furent écrites entre 1975 et 1979. Des pièces instrumentales faisant appel à des formations diverses constituent un second cercle: ce sont des commentaires, des exercices au double sens compositionnel et spirituel: Übungen zu Scardanelli.
Un troisième cercle, plus bref, est lié à la flûte (l’instrument de Hölderlin), sous forme concertante ou en solo. Il est constitué notemment de fragments de Turm-Musik.