Profondément moderne, le célèbre réalisateur japonais Kenji Mizoguchi nous livre, par son art engagé, un écho extrêmement dense de son parcours de vie tumultueux, de sa conscience de la complexité du réel – envisagé comme le lieu d’expression de toutes les perversions, illusions et mensonges – de ses convictions politiques et sociales et s’investit à une mise en scène sensible de sa vision de la beauté.
Né à Tokyo en 1898, Mizoguchi connaît la pauvreté alors qu’il vit à Asakusa, quartier modeste de la capitale japonaise. Après une scolarité chaotique et quelques expériences en tant que peintre puis journaliste, il intègre la société cinématographique nippone Nikkatsu en 1920 et devient rapidement assistant-réalisateur d’Osamu Wakayama puis d’Eizo Tanaka. Ces collaborations lui permettent un tremplin expressif unique l’incitant à réaliser une série de films dont la grande majorité est adaptée d’œuvres littéraires et de pièces théâtrales dramatiques. La petite bourgeoisie, les commerçants et les artisans modestes y sont représentés aux côtés de personnages féminins brimés aux amours tragiques. La rencontre décisive, au milieu des années 30, de Yoshikata Yoda propulse Kenji Mizoguchi dans une autre phase créatrice. Ce dernier trouve en Yoda un scénariste-romancier complice, celui des ses plus grands films, dont l’écriture sait poétiquement associer l’extrême cruauté à un lyrisme mélodramatique envoûtant. Cette collaboration se concrétise dès 1936 avec L’Élégie de Naniwa puis Les Sœurs de Gion souvent considéré par le réalisateur comme son premier film «sérieux» dans lequel il révèle son intérêt thématique pour les femmes victimes du patriarcat.
Au cours de sa carrière, le cinéaste fait de l’image féminine une figure de proue qui se mêle à l’analyse de l’artiste des rapports sociaux passant du désir à la révolte ou encore à la soumission. Il y évoque la
en compétition en 1955 pour la Palme d’or au Festival de Cannes – en propose un exemple sophistiqué par le jeu visuel des cloisons coulissantes et amovibles, à la fois désarticulées et homogènes, troublantes et théâtrales.
Passer d’un espace à un autre pour mieux illustrer l’intensité de la tragédie humaine à l’intérieure de laquelle tout happy-end est banni, telle est l’une des conceptions esthétiques de Mizoguchi dont la reconnaissance est aujourd’hui universelle. Les mots de Jean-Luc Godard dans Arts datant du 5 février 1958 en sont un reflet : «Le 24 août 1956 mourait à Kyoto le plus grand cinéaste japonais. Et même l'un des plus grands cinéastes tout court. Kenji Mizoguchi était l'égal d'un Murnau ou d'un Rossellini... Si la poésie apparaît à chaque seconde, dans chaque plan que tourne Mizoguchi, c'est que, comme chez Murnau, elle est le reflet instinctif de la noblesse inventive de son auteur».