1. Andreyev: Micrographia
  2. Aperghis: Les Guetteurs de sons
  3. Aperghis: Machinations
  4. Babel: All Over (Logaédique)
  5. Bissieres: Le Complexe de Swinburne
  6. Bolens: ou le mystère précipité hurlé
  7. Bussotti: Ancora odono i colli
  8. Cage: Third Construction in Metal
  9. Castanet: Giacinto Scelsi ou l’idée spirituelle du « souffle primordial »
  10. Ceccarelli: Musica per « Filmstudie »
  11. Ceccarelli: Musica per « Opus II »
  12. Chalosse: À propos de Jeanne
  13. Ciupinski: Makyo II
  14. Contet/Wei: Appel des anges
  15. Contet/Wei: De Chengdu à Shanghaï
  16. Contet/Wei: Les Rythmes du vent
  17. Contet/Wei: Mélodie de Jin
  18. Contet/Wei: Métissage dérivé
  19. Dapelo: Musica per « Vormittagsspuk »
  20. Dayer: Sonnet XXI
  21. Del Boca: Fragodato
  22. Diez Fischer: Chrystalis
  23. Di Scipio: Due pezzi muti su H. Richter
  24. Doati: A Moholy
  25. Dufourt: Erlkönig
  26. Dufourt: An Schwager Kronos
  27. Dufourt: Meeresstille
  28. Dufourt: Rastlose Liebe
  29. Eggeling: Symphonie Diagonale
  30. Garnero: Cinq Portails pour le vent du Sud
  31. Gervasoni: In-Dir
  32. Giannotti: Il tempo cambia I
  33. Giomi: Musica per « Rhythmus 21-23 »
  34. Globokar: ?Corporel
  35. Globokar: Toucher
  36. Huguet: Hora de la ceniza
  37. Jacobs: Into Callous Hands
  38. Kanach: Les «messages» du facteur Scelsi - une question de transmission
  39. Kurtág: Moments musicaux, op.44
  40. Laporte: Petit Tremblement de terre
  41. Laporte: Rituel
  42. Laporte: Waves
  43. Lenot: Lux Æterna
  44. Ligeti: Quatuor à cordes n°2
  45. Ligeti: Sippal, dobbal, nádihegedüvel
  46. Ligeti: Sonate pour alto
  47. Mackay: Song of Stones
  48. Manca: Mori Perpetui per « Opus III e IV »
  49. Martinis: La Suisse de Scelsi
  50. Martinis: Entretiens sur Scelsi
  51. Menalled: (di)Section II
  52. Menoud: Béances
  53. Moholy-Nagy: Ein Lichtspiel
  54. Pachini: Diagonal Symphonie
  55. Pappalardo: Musica per « Opus I »
  56. Pellegrini: Les débuts de Scelsi sur la scène musicale internationale
  57. Pires: Sideral
  58. Räisänen: Gatekeepers
  59. Richter: Alles dreht Sich, alles bewegt Sich
  60. Richter: Filmstudie
  61. Richter: Inflation
  62. Richter: Rhythmus 21
  63. Richter: Rhythmus 23
  64. Richter: Vormittagsspuk
  65. Robin: Chaostika
  66. Roldán: Ritmicas n°5 & 6
  67. Romitelli: Musique pour « Ein Lichtspiel »
  68. Ruttmann: Opus I
  69. Ruttmann: Opus II
  70. Ruttmann: Opus III
  71. Ruttmann: Opus IV
  72. Sani: À la recherche du premier Scelsi
  73. Scelsi: Dithome
  74. Scelsi: I Presagi
  75. Scelsi: Kya
  76. Scelsi: Maknongan
  77. Scelsi: Okanagon
  78. Scelsi: O SOM SEM O SOM
  79. Scelsi: Pranam II
  80. Scelsi: Preghiera per un' ombra
  81. Scelsi: Quatuor à cordes n°3
  82. Scelsi: Quatuor à cordes n°4
  83. Scelsi: Riti
  84. Scelsi: Rotativa
  85. Scelsi: Rucke di Guck
  86. Scelsi: Sauh I
  87. Scelsi: Sauh II
  88. Scelsi: Sauh III
  89. Scelsi: Sauh IV
  90. Scelsi: Three Latin Prayers
  91. Scelsi: Tre Canti popolari
  92. Scelsi: Tre Canti sacri
  93. Scelsi: Tre pezzi per sassophono
  94. Scelsi: Triphon
  95. Scelsi: Yamaon
  96. Scelsi: Ygghur
  97. Scelsi: Yliam
  98. Scibior: Barberian Hussky
  99. Schöllhorn: Play
  100. Schuler: jouer la mort
  101. Sphota: Silence et péripéties
  102. Stahmer: Wie ein Still stand der Zeit
  103. Suarez: Chemins mobiles à l'intérieur du jardin
  104. Taride: Camerata, fragment n°10
  105. Taride: Chagrin
  106. Taride: La Percussionniste
  107. Taride: SUB.wav
  108. van der Kooij: Casa Scelsi
  109. Varèse: Ionisation
  110. Vassena: infidi luoghi dell'anima
  111. Xiaosheng: Calling Phoenix

Giacinto ScelsiRotativa (1929) [10’]
pour deux pianos et treize percussionnistes
Éditions Salabert
Création mondiale




Scelsi à son piano, © Fondazione Isabella Scelsi

La première production de Giacinto Scelsi commence à peine à être découverte. Grâce aux travaux de la Fondazione Isabella Scelsi, des pans entiers de son œuvre écrite entre 1929 et la guerre voient le jour. C'est ainsi qu'on ignorait jusqu'à l'existence de quarante-neuf préludes pour piano, composés entre 1930 et 1940, qui ajouté aux douze préludes publiés en 1947, font de Scelsi l'auteur le plus prolifique du XXe siècle pour ce genre de musique.

Plus encore, c'est la place même de Scelsi au sein de la musique italienne de l'entre-deux-guerres, et la nature du parcours esthétique qui le mène aux pièces radicales des années 1950-1970, qui devront être réexaminées dans les années à venir en raison de l'ouverture prochaine des archives Scelsi, de la publication de son autobiographie et de ses textes théoriques chez Actes Sud, des conférences données les 24 et 25 mars dernier lors du festival Archipel par les membres de la Fondazione Isabella Scelsi : Nicola Sani, son président, Luciano Martinis, vice-président, Carlotta Pellegrini et Sharon Kanach, musicologues.

C'est maintenant un compositeur très différent des légendes habituellement propagées sur son compte qui apparaît. Musicien qui eut une place importante, aux côtés de Luigi Dallapiccola et Goffredo Petrassi, ses contemporains, dans la vie musicale italienne des années 1930, mais dépassant ses derniers par la distance qu'il prit immédiatement vis-à-vis du provincialisme italien, et par l'audace de son parcours. Musicien dont la redécouverte des œuvres de la première période expliquera sans doute la profonde originalité du langage qu'il inventa au début des années 1950, et qui jusqu'à présent semblait surgi de nulle part.

Giacinto Scelsi a été formée au moment où la génération dell'ottanta (Alfredo Casella, Ottorino Respighi, Franco Alfano, Gian Francesco Malipiero et Ildebrando Pizzetti) incarne le renouveau de la musique italienne. Il en reçoit une influence directe via son professeur de composition à Rome, Giacinto Sallustio, lui-même élève de Casella. Mais contrairement à ce qui a été parfois écrit, Scelsi n'a jamais été élève de Casella ni de Respighi. Il est même très critique à leur égard. C'est l'harmonie debussyste, et son utilisation des échelles orientales, qui marque le jeune Scelsi. Il est aussi influencé, comme il l'écrira en 1940 dans Évolution du rythme [Les anges sont ailleurs, Actes Sud, Paris, 2006, p. 109] par la rythmique de Stravinsky et l'ode aux rythmes mécaniques du Futurisme. Voilà donc un jeune compositeur italien, qui dès la fin des années 20, et à la différence de ses contemporains Dallapiccola et Petrassi, se dégage immédiatement du provincialisme néo-classique de l'école italienne. La formation de Scelsi sera complétée dix ans plus tard, alors qu'il réside en Suisse, par sa rencontre avec Egon Kœhler, médecin et compositeur balte, qui l'initie à la musique de Scriabine.

Rotativa, deuxième œuvre de Scelsi après Chemins du cœur pour violon et piano, est la synthèse de cette triple influence internationale : Debussy, Stravinsky, et une trilogie « futuriste » formée de Pratella (Danse mécanique dont Scelsi reprend une figure rythmique), Honegger (Pacific 231), Mossolov (Les Fonderies d'acier). L'œuvre est écrite en 1929 pour 3 pianos, orgue et orchestre symphonique, mais le jeune Scelsi, qui bute sur quelques difficultés d'orchestration, invite Sallustio son professeur à l'aider à la terminer en 1930 lors de vacances d'été à Vallombreuse en Toscane. Scelsi qui a une correspondance quasi quotidienne avec sa mère lui explique sa difficulté à trouver une fin à la pièce. Finalement il opte pour une cadence conclusive, immédiatement suivie par quelques mesures retenues et subitement suspendues. Cette fin, on le verra tout à l'heure, explique le destin contrarié de cette œuvre.

En 1927, Scelsi s'était épris d'une jeune femme rencontrée lors du mariage de sa sœur Isabella avec le Comte Zogheb en Égypte. Cette personne, dont il resta l'ami, épousa le pianiste Alfred Cortot et c'est par son entremise que la partition de Scelsi fut proposée à Pierre Monteux. Ainsi Scelsi eut-il la chance d'entendre pour la première fois sa musique, qui doit tant à Stravinsky, sous la baguette du créateur du Sacre du Printemps. Le concert eut lieu à la salle Pleyel à Paris, le 20 décembre 1931. Stravinsky lui-même aurait été présent. Malgré une critique favorable, Scelsi fut très insatisfait de sa partition et entrepris d'en faire plusieurs adaptations. Une pour deux pianos et percussions, dont la partition longtemps perdue sera créée aujourd'hui, et une réduction pour piano solo qui sera publiée par Ricordi en 1933, et créée le 12 mars 1934 par Ornella Santoliquido à Rome. À quoi il faut ajouter aussi une version pour deux piano réalisée dans les années 1940 par Piero Scarpini (mais à partir de quel original ?), créée le 11 juin 1942 par Nikita Magaloff et Maurice Perrin lors d'un concert Scelsi au Conservatoire de Lausanne au cours duquel Hugues Cuenod chanta une autre œuvre de jeunesse de Scelsi, les Tre canti di primavera. Mais la partition originale pour orchestre de Rotativa a disparu, et la version pour piano et percussions ne fut pas éditée par Ricordi qui, après en avoir reçu copie, la remisa, au prétexte que la partition n'était pas définitive. La fin suspensive voulue par Scelsi était en effet signifiée par une ligature aboutissant dans le vide, et l'absence de double-barre de mesure finale… Aussi cette pièce ne fut-elle pendant longtemps connue que parce que Scelsi lui-même en parlait volontiers, et la jouait encore par cœur au piano à plus de quatre-vingts ans.

La partition que l'on va découvrir aujourd'hui ne propose pas un développement du matériau rythmique initial emprunté à Pratella, mais procède par juxtaposition de structures rythmiques à 2, 3 et 4 temps comportant de nombreux déplacements d'accents, hémioles et autres superpositions polyrythmiques. Harmoniquement, elle oscille entre Debussy et Stravinsky, montrant que nous sommes là encore dans cette période de métabolisation des influences que reçoit le jeune Scelsi. Il est difficile de dire si cette version est plus proche de ce que voulait exprimer Scelsi, que la version originale perdue pour orchestre qui l'avait laissé insatisfait. Indéniablement, le choix de deux pianos et d'un ensemble de percussions s'approche plus de l'esprit de la modernité futuriste. Elle unit aussi cette partition à des œuvres exactement contemporaines, que Scelsi ne pouvait connaître, et qui inventent elles aussi « l'orchestre de percussions », future formation fétiche de la musique contemporaine : Ionisation de Varèse, Ritmicas de Roldán. Il est vraisemblable que le choix de cette formation originale ait été inspiré à Scelsi par Noces de Stravinsky ou par le Ballet mécanique de George Antheil.

Scelsi, qui sera après guerre un musicien en rupture complète avec la musique de ses contemporains, proposant l'introspection du son unique quand tous ne pensaient qu'à la série, fut donc à ses débuts un compositeur tout à fait en phase avec l'« air du temps ». Écrivant une musique inspirée par la mécanique et ses rythmes, usant de la répétition, chantant la vitesse et le dynamisme, simplifiant l'harmonie, rejetant les instruments de l'orchestre pour la percussion, incarnant l'homme futur, ouvrier d'une révolution des esprits qui préfère l'acier, les pistons (et bientôt les canons) au sentimentalisme ancien. Cela dit, il reste quelque chose du « salon » dans la pièce de Scelsi. Comte d'Ayala-Valva par sa mère, il était lui-même si loin des aventures futuristes et du monde révolutionnaire, qu'il ne pouvait en embrasser les élans sans garder un peu de son élégance aristocratique.

De toutes ses œuvres de jeunesse, celle-ci était indéniablement sa préférée, voire la seule dont il parlait encore. Il la jouait au piano, un an avant sa mort, lors d'un entretien radiophonique, comme exemple du dandy un peu espiègle et si moderne qu'il avait été, ajoutant que le premier titre de Rotativa était Coïtus Mechanicus. « C'était comme une blague, que voulez-vous… »

Marc Texier

Dernière modification de la page: lundi 26 mars 2007. Ce site nécessite un écran 1024x768, javascript activé. Utilisez de préférence Firefox, Camino ou Safari, à la rigueur IE6.