Mahmoud Darwich |
« Poèmes » |
lus par Abdellatif Laâbi |

D.R.
Le moustique Le moustique, dont je ne connais pas le nom au féminin, est plus féroce que la médisance. Non content de te sucer le sang, il t'accule à une bataille absurde. Comme la fièvre d'Al-Mutanabbi, il n'est en visite qu'à la faveur de l'obscurité. Il bourdonne et vrombit tel un avion de chasse que l'on n'entend qu'après qu'il a atteint sa cible. L'objectif, c'est ton sang. Tu allumes pour le repérer et il se cache dans un recoin de la chambre et de ton obsession, puis il se pose sur le mur, confiant, l'air pacifique, presque abandonné. Tu essaies de l'écraser avec l'une de tes chaussures, mais il esquive le coup, s'échappe, avant de réapparaître pour te narguer. Tu l'insultes à haute voix et il n'en a cure. Conciliant, tu négocies avec lui : dors, que je puisse dormir ! Croyant l'avoir convaincu, tu éteins et te rendors. Ayant sucé encore un peu de ton sang, il se remet à vrombir et te menace d'une nouvelle attaque. Il te pousse à une bataille accessoire avec l'insomnie. Tu rallumes et résistes à l'insomnie et au moustique en lisant. Mais voilà qu'il atterrit sur la page que tu lis. Tu t'en réjouis en te disant : Il est tombé dans le piège ! Tu refermes violemment le livre sur lui. Je l'ai tué… Je l'ai tué ! Et quand tu rouvres le livre pour jouir de ta victoire, tu ne retrouves ni le moustique ni les mots. Les pages de ton livre sont blanches ! Le moustique, dont je ne connais pas le nom au féminin, n'est ni une métaphore, ni un surnom, ni un euphémisme. C'est un insecte qui aime ton sang et le flaire à une distance de vingt lieues. Et pour parvenir à une trêve avec lui, tu n'as qu'une solution : changer de groupe sanguin ! Le mur Énorme, une vipère métallique s'enroule autour de nous. Elle avale nos petits murs séparant la chambre à coucher de la salle de bains, la cuisine et le salon. La vipère ne rampe pas en ligne droite pour ne pas imiter notre façon de regarder droit devant. Elle se tord et brandit son cauchemar de vertèbres en ciment, armé de fer souple, facilitant ses déplacements vers les miettes de directions et de carrés de menthe que nous avons pu préserver. La vipère rampe pour pondre entre nos soupirs et nos râles et que nous disions, ne serait-ce qu'une fois, tant nous étouffons : Oui, nous sommes les étrangers. Nous regardons nos miroirs et ne voyons que la vipère s'approcher de nous. Mais, en faisant un petit effort, nous observons ce qu'il y a au-dessus d'elle : un ciel qui bâille d'ennui face à des ingénieurs occupés à boucher son toit avec des fusils et des drapeaux. De nuit, nous y voyons scintiller des constellations qui nous scrutent avec tendresse. Et nous voyons aussi au-delà du mur de la vipère : les gardiens du ghetto, apeurés par ce que nous faisons derrière le peu de petits murs qui nous restent. Nous les voyons lubrifier leurs armes pour tuer le phénix qu'ils croient caché chez nous, dans le poulailler. Que pouvons-nous faire, sinon en rire ? Si nous le voulons Nous deviendrons un peuple, si nous le voulons, quand nous saurons que nous ne sommes pas des anges et que les autres n'ont pas l'exclusivité du mal
À un jeune poète Ne crois pas en nos préceptes, oublie-les
Textes traduits de l'arabe par Abdellatif Laâbi |