Festival Archipel 2010
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Hurel: Interstices
Huber: Die Seele muss vom Reittier steigen… (À l’âme de descendre de sa monture…)
Harsch/Gravat/Schnebel: Ouvrages de gueule
Huber: In Nomine - ricercare il nome…
Huber: Transpositio ad infinitum
Huber: Kammerkonzert («Intarsi»)
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Œuvre n°8268
© Grü

Avec Ouvrages de gueule, nous cherchons un état où le corps est dansé plus qu’il ne danse.

Une danse perceptible dans les traces qu’elle laisse derrière elle. Un mouvement visible qui ne serait qu’un effet lointain de cette concentration, qui apparaîtrait au moment de sa disparition. Nous cherchons à créer un effet de spirale, où l’œil ne puisse rendre compte avec certitude de ce qu’il voit.

Trois corps confondus, leurs respirations comme source d’images sonores et visuelles. Les danseuses mêlant tour à tour leurs souffles et leurs corps de façon à devenir une sorte de magma fluide.

Pour créer notre « matière » chorégraphique, nous avons imaginé un système aléatoire : chaque danseuse improvise seule pendant trois minutes. Elles se transmettent ces trois fois trois minutes, sans aucune retouche, à partir d'un enregistrement vidéo. Dans un deuxième temps, cet enchaînement de neuf minutes est décomposé de façon arbitraire. D'abord en fractionnant le corps en trois parties : buste (avec tête), jambes et bras ; puis, pour terminer, en fractionnant le temps. De trois minutes à une, puis à trente secondes, dix, cinq et enfin trois secondes, de sorte que les mouvements fractionnés ainsi ne répondent plus à aucune directive subjective comme le goût, la fluidité, l’organicité, l’originalité, etc.

Enfin, ces modules sont tirés au sort par chaque danseuse et constituent cette fois la partition définitive d'Ouvrages de gueule.

Tout ce processus expérimental, et la focalisation sur le souffle, viennent initialement de notre rencontre avec la partition d'Atemzüge de Dieter Schnebel. Ce monument de la musique avant-gardiste des années 1970, à la limite de la musique et du théâtre expérimental, nous proposait non un résultat sonore définitif, mais un processus libre de production du son que l'on pouvait, en respectant l'esprit de l'œuvre, transposer de l'appareil phonatoire et du souffle (sa matière originelle) au corps tout entier et sa respiration : le mouvement.

Cette partition nous l'avons lu comme un manuel d'entraînement et de libération de la voix et du corps. Nous en avons transposé le processus de composition qui se présente comme un libre parcours parmi des réservoirs d'articulations et des postures phonatoires. Il en résulte deux lectures, vocale puis dansée, d'un même écrit, suivant en cela l'ambiguïté volontaire du sous-titre indiqué par Schnebel : « pour organes d'articulation et appareils de reproduction ». Sa version sonore (musicale serait trop restrictif) est interprétée par deux performers qui ont une profonde connaissance de la démarche de Schnebel et une « danseuse vocale ». Sa version cinétique est dansée par trois femmes aux corps découpés/recollés dans un temps fractionné/recomposé.

Le principe même des Maulwerke, ce cycle d'œuvres de Schnebel dont Atemzüge est l'ouverture, est comme dans la poésie de Francis Ponge, la représentation de la fabrique. L'artiste fait voir son atelier, qui tient lieu d'œuvre même, le « faire » plutôt que l'objet fini. Ici même, tout est apparant : sur une scène en cage thoracique, le tirage des sections aléatoires est montré. Chaque soir, ce sera un ouvrage différent, aux fils visibles, où rien n'est fixé sinon par le hasard, spectacle comme un bâti de couturière s'essayant à de nouveaux drapés de corps et de gueules.

Nous cherchons à créer une « matière » commune, empirique, née de l’arbitraire qui puisse refléter autant la communauté que l’individu. Nous cherchons par ce procédé à questionner la subjectivité, le hasard et aussi le pur plaisir qu’offre l’expérimentation chorégraphique.

Prisca Harsch / Pascal Gravat