Klaus Huber |
« Die Seele muss vom Reittier steigen… (À l’âme de descendre de sa monture…) » 2002 #39mn |
Concerto de chambre pour violoncelle, baryton, contreténor et 37 instruments sur des fragments d’un poème de Mahmoud Darwich |

D.R.
Notre regard sur le monde est déplacé.
Croissance, la croissance d’abord. Le marché totalitaire. Klaus Huber, 29.4.2002 Il y a six ans, j’écrivais à l’occasion de la commémoration de la 75e année des Journées musicales de Donaueschingen :
Plus nous pénétrons dans le potentiel de la musique en tant qu’art, plus il est évident que la musique n’a pas de persistance sans la transcendance. De manière encore plus radicale que dans d’autres arts se pose la question : qu’est ce qui est « dehors », et donc matérialisable ; et qu’est ce qui « dedans », et donc peut être vécu sans être matériel. Dans ses racines plus profondes, la musique reste néanmoins une manière de représentation réelle du monde par l’intermédiaire de sa temporalité. Ce type de pensée m’accompagne constamment, notamment quand je compose.
Ernst Bloch a repris les interrogations d’Avicenne comme point de départ pour un texte de 1952, dans lequel il analyse également la signification que la philosophie d’Avicenne et Averroès donnait pour le déploiement de la pensée occidentale (Avicenna und die Aristotelische Linke, Berlin, Suhrkamp, 1963). Si je pense que nous, les artistes occidentaux, devrions agir contre une vague dominante de matérialisme non seulement dans notre esthétique mais aussi dans notre existence tout entière, alors se pose la question : comment fournissons-nous une opposition ancrée dans la rationalité mais aussi dans une esthétique qui ne soit pas totalement inefficace ? Dans son discours à Francfort lors de la remise du Prix Theodor W. Adorno en 2001, Jacques Derrida a formulé une surprenante revalorisation de la pensée propre au rêve. Derrida reconnaît au rêve une grande rationalité, qui surpasse celle de la conscience éveillée, et cela à l’aide d’un enchaînement de pensées que Walter Benjamin a rêvées et soigneusement reformulées. Ne serait-il pas temps de reconnaître l’existence intérieure, globale, des hommes, qui s’appelle âme, comme une réalité qui est rapportée rationnellement au monde au même titre que les autres réalités ? Derrida a fait un premier pas dans cette direction. L’ode d’Avicenne ne m’a jamais quitté, elle m’a accompagné du concept original d’un concerto pour violoncelle jusqu’à l’œuvre présentée ce soir. En avril 2002, j’ai lu un poème qui m’a ému au point de m’amener de l’ode d’Avicenne, base conceptuelle de ma composition, au présent. Il s’agissait d’un poème inédit du poète palestinien Mahmoud Darwich, écrit en janvier 2002 dans la ville assiégée de Ramallah.
Afin de réagir au présent, ne pouvant pas faire autrement, j’espère fournir avec mon travail une contribution modeste contre le matérialisme croissant des hommes (et de leur âme), pour venir au secours de tout ce qui touche à l’« humain », à une époque qui s’est fixé d’autres objectifs. Et cela dans la totale conscience d’un présent extrêmement brutal, non seulement en Palestine.
Sur ce point, Mahmoud Darwich est pour moi tout aussi bien un modèle qu’un miroir.
« La défense d’un monde, d’une période, qui est sur le point de mourir, s’apparente à la riposte des petites créatures lorsqu’elles sont menacées par la tempête. Elles se cachent entre deux pierres, dans les failles, dans les trous, dans l’écorce d’un arbre.
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traduit de l'allemand par Francesca Serra